mardi 21 juillet 2015

Ali Harzi, né en Tunisie et mort en Irak sous le drapeau de l'EI

Ali Harzi



Tariq Bin-al-Tahar Bin al Falih al-‘Awni al-Harzi
Jusqu'à 3 millions de dollars offert par le FBI



Émir de brigade en Irak et frère d’un haut cadre de l’État islamique, Ali Harzi, Tunisien, a été abattu le 22 juin dans une frappe aérienne américaine sur Mossoul (Irak).

Parcours d'un djihadiste.

Noyée dans l’actualité abondante des guerres en Syrie, en Irak et au Yémen, et des milliers de frappes aériennes américaines, l’annonce n’a pas fait événement. Le 22 juin, le département américain de la défense (DoD), a confirmé la mort d'Ali Harzi, émir d'une brigade de l'État islamique tué le 15 juin dans une frappe de drone à Mossoul (Irak). La mort d'Ali Harzi et de son frère Tarek, tous deux Tunisiens, avait été annoncée le 17 juin par le journaliste de Radio France internationale via David Thomson, qui suit de près l'évolution de l'organisation djihadiste.

Si la mort d'Ali a bien été confirmée par les Américains, le département de la défense ne donne pas suite à une demande de confirmation de la mort de Tarek. Mais, affirme l'État islamique, ce dernier aurait péri en Syrie, dans une frappe distincte de celle qui a emporté son frère.

Le département d’État américain avait placé Ali Harzi sur sa liste terroriste le 14 avril 2015. Qui était-il, et pourquoi annoncer officiellement sa mort, alors qu'il ne fait pas partie de la direction de l'EI ? Même s'il n'est pas un haut cadre de l'État islamique, Ali Harzi constituait pourtant une cible prioritaire pour Washington. Depuis 2012, le personnage et son parcours représentent un véritable défi à l’hyperpuissance américaine, dans un conflit où l'ascendant psychologique s'est avéré déterminant à maintes reprises, à Mossoul, Kobané, Ramadi, Palmyre, Hassaka, et début juin dans la reprise de Tal Abyad par les forces kurdes.

Alors correspondant de France 24 en Tunisie, David Thomson avait rencontré Ali Harzi une première fois en juillet 2012 à Tunis, « sans [se] rendre compte de son importance, même s’il apparaissait déjà comme un leader, qu'il prenait facilement la parole ». Ce militant djihadiste alors âgé de 28 ans manifeste ce jour-là devant le ministère des affaires étrangères tunisien pour protester contre la détention de « frères » partis combattre en Irak les forces américaines, puis l'armée régulière irakienne. Il est ainsi interrogé par le journaliste dans les reportages vidéo.

Parti ensuite en Libye, Ali Harzi est soupçonné d’être impliqué dans l’attaque du consulat de Benghazi le 11 septembre 2012, qui entraîne la mort de l'ambassadeur américain Christopher Stevens et de trois autres agents de Washington. Décrit par la presse américaine comme l’unique suspect de cet attentat, Harzi tente alors de se rendre en Syrie via la Turquie, mais est arrêté, puis extradé en Tunisie. Plusieurs inspecteurs du FBI l’interrogent à Tunis. Ali Harzi doit répondre de ses actes – il nie toute responsabilité dans l'attaque de l'ambassade – mais aussi de ceux de son frère, que les États-Unis ont à l'œil depuis près d'une décennie.

Tarek Harzi est en effet parti en Irak dès 2004, deux ans avant la mort du leader irakien d'Al-Qaïda, al-Zarqaoui, puis l'absorption de l'organisation djihadiste par l'État islamique. C'est un vétéran du djihad, et son influence dans la construction de l'EI est autrement plus importante que celle de son frère Ali. « Tarek Harzi est vraiment un professionnel du djihad, explique le chercheur Romain Caillet, spécialiste des mouvements djihadistes. Avec les Syriens Adnani [porte-parole de l’EI] et Jolani [ancien cadre de l'EI en Irak devenu émir de Jabhat Al-Nusra, l'organisation syrienne rivale affiliée à Al-Qaïda],c’est à ma connaissance l’un des trois cadres djihadistes à avoir réussi à se faire passer pour un Irakien pour éviter l’extradition lorsqu’ils sont passés par les geôles américaines en Irak. » Sa tête est mise à prix pour 3 millions de dollars par Washington, et sa biographie publiée sur le site du FBI.

Au tout début de l'année 2013, malgré les fortes présomptions qui pèsent sur lui et son frère, Ali Harzi est relâché « faute de preuve », selon son avocat cité par le New York Times, qui consacre un article à la libération du militant djihadiste. Ali Harzi est à nouveau libre, et se joint aux militants djihadistes proches de l'organisation tunisienne Ansar el-Charia. « Je le retrouve en janvier 2013 », témoigne le journaliste David Thomson, « manifestant sa joie devant la prison de Mornaguia pour la libération d’Abou Ayoub », un prédicateur d'Ansar El- Charia, qui fournit plusieurs centaines de combattants à l’EI.

Loin de se tenir tranquille, Ali Harzi poursuit ses activités d'agitateur et se trouve même sur la liste de suspects diffusée par les autorités tunisiennes après les assassinats des opposants Chokri Belaïd (6 février 2013) et Mohammed Brahmi (25 juillet suivant). L’étau se resserre une nouvelle fois autour du djihadiste. Mais les services américains et la justice tunisienne se réveillent trop tard. Dès l’été 2013, Ali Harzi parvient à rejoindre la Syrie, puis l’Irak, où opère son frère au sein de l’EI.

AQPA, Etat islamique : nids d'espions

Deux ans après la fuite d'Ali Harzi, comment les États-Unis sont-ils parvenus à l'éliminer, lui et peut-être son frère, Tarek ?

Si la mort d’Ali Harzi montre en premier lieu les échecs successifs des services de renseignements internationaux pour l’empêcher d’atteindre l’Irak, elle met aussi en lumière le changement américain de stratégie engagé depuis septembre 2014, et amplifié ce printemps : la mise en œuvre de frappes ciblées fondées sur des renseignements militaires mais aussi humains.

Outre les bombardements massifs de villes comme Kobané pour appuyer les offensives contre l’État islamique, l’armée américaine vise directement des personnalités de l’État islamique, comme Israël le fait depuis deux décennies à Gaza pour assassiner des cadres du Hamas et du Djihad islamique. Le 23 juin 2015, l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) dressait ainsi un bilan de ces frappes, et déclare avoir recensé au moins 2 896 morts dont l'identité se décline comme suit : 2 628 hommes de l'État islamique, 105 du Front Al-Nosra, un rebelle du Front islamique détenu par l'EI, et 162 civils, dont 35 femmes et 51 enfants.

Le 17 mai dernier à Der-Ez-Zor, l’assassinat d’un certain Abou Sayyaf s'est déroulé de manière un peu différente, au terme d’une opération commando spectaculaire qui a également coûté la vie à 32 militants de l’EI. Contrairement à la tentative ratée de libération de l'otage James Foley, l'an passé, cette opération a constitué une véritable victoire militaire pour la coalition anti-EI menée par Washington. Ministre du gaz et du pétrole, Sayyaf était un personnage clé de l’État islamique.

Depuis le début du mois de juin, cette stratégie d’assassinat ciblé a été utilisée contre Al-Qaïda au Maghreb, au Yémen, contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), et bien sûr, contre l'État islamique. De l’avis des spécialistes, atteindre Abou Sayyaf eût été impossible sans l'aide de renseignements humains, venus de l'intérieur de l'organisation. C'est d'ailleurs la question du moment : alors que l'État islamique a encore gagné du terrain en Irak (à Ramadi) mais aussi en Syrie (à Palmyre), est-il aujourd'hui possible d'infiltrer l'organisation menée par al-Baghdadi pour l'affaiblir de l'intérieur ? En marge de l'annonce de la mort des frères Harzi, une autre histoire tourne en boucle dans les réseaux djihadistes depuis le début du mois de juin et démontre toute la complexité du recrutement d’informateurs au sein de l’EI comme au sein d’AQPA.

Fin 2013, alors qu'AQPA et l’EI ne sont pas encore engagés dans une lutte frontale, un certain Hummam al-Humayd, activiste saoudien pro-EI spécialiste des médias, plusieurs fois emprisonné en Arabie saoudite, part fonder au Yémen – un choix qui surprend, quand tous les regards djihadistes sont alors tournés vers la Syrie – un groupe médiatique liée à AQPA, Al Husam médias. Le groupe d'activistes se fait notamment connaître au sein de la sphère djihadiste en produisant un guide pour sécuriser les communications téléphoniques. Par la suite, Hummam al-Humayd est accusé d’être impliqué dans les frappes de drones qui ont visé Nasr el-Ansi, dirigeant d’AQPA tué le 7 mai. Hummam al- Humayd est dès lors considéré comme un espion par AQPA, qui annonce son exécution. Cette mise à mort n’empêchera toutefois pas les États-Unis d’atteindre quelques jours plus tard Nasher al- Wahishi, le numéro un d’AQPA, tué d'une frappe de drone dans le sud du Yémen le 12 juin.

Au sein d'AQPA comme de l'EI, la chasse aux espions est désormais ouverte, et sur les forums djihadistes, les hypothèses et scénarios pullulent. « Le narratif dans le milieu djihadiste demeure très incertain, explique Romain Caillet. Certains disent que Hummam al-Humayd agissait en tant qu’élément infiltré pro-EI pour permettre aux Américains d’affaiblir AQPA, dans l'intérêt de l'EI. D’autres estiment qu’il infiltrait déjà les groupes pro-EI en Arabie saoudite, et avait simplement tiré parti d’une opportunité pour infiltrer AQPA. » Une hypothèse d'autant plus séduisante que les renseignements humains utilisés par l'armée américaine viendraient nécessairement des services saoudiens et jordaniens, seuls capables, selon Romain Caillet, de bénéficier de l’environnement idéologique ad hoc pour s’insérer au sein de l’EI ou d’AQPA. « Seuls des services de renseignement arabes peuvent parvenir à fournir des renseignements humains, juge le chercheur. Les Saoudiens en particulier disposent de la culture religieuse qui leur permet de bien comprendre les mécanismes de pensée de l’EI. »

Outre Hummam al-Humayd, les Saoudiens sont-ils parvenus à « loger » une autre « taupe » qui a permis aux Américains d’assassiner le numéro un d’AQPA ? Romain Caillet le croit. Fin connaisseur de la sphère djihadiste, le journaliste indépendant Hasan Abuhanya estime cependant, dans un article publié le 21 juin, que la crainte de l'infiltration des espions est au contraire utilisée comme un épouvantail par la direction d’AQPA pour « purger » l’organisation et éliminer les partisans pro-État islamique en son sein. Au-delà des combats pour regagner des territoires et des villes à Kobané, Ramadi, Palmyre ou Tal Abyad, les conflits irakien et syrien, ainsi que celui du Yémen, sont désormais doublés d’une guerre souterraine. Une bataille entre les services de renseignement qui rend plus opaque encore, s’il était possible, les conflits contre les organisations djihadistes, et entre ces organisations elles-mêmes.




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