lundi 26 février 2018

Sonia Krimi Un destin franco-tunisien

Sonia Krimi
Sonia au parlement dans l'hémicycle


La voix qui d’ordinaire bute sur son bégaiement n’a pas tremblé. « Tous les étrangers de France ne sont pas des terroristes, lance-t-elle. Tous les étrangers de France ne sont pas d’indélicats fraudeurs aux aides sociales. » Ce mardi 19 décembre 2017, à l’Assemblée nationale, Sonia Krimi, députée La République en marche (LRM) de la 4e circonscription de la Manche, pose, fiches en mains, sa première question au gouvernement. Une intervention adressée au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, à propos du projet de loi asile-immigration, deux mois avant sa présentation en conseil des ministres, le 21 février.

«Les centres de rétention sont devenus des centres de détention et sont indignes de notre République », poursuit la députée, le ton haut, sous les applaudissements de La France insoumise et les hésitations de ses camarades de banc. Ces deux minutes en solo lui vaudront d’être qualifiée de « première frondeuse de la majorité», la première tête à dépasser dans un collectif d’anonymes peinant à se départir de son image de « godillot ». Dans sa réponse, Gérard Collomb fait fi de la sévérité de la question, préférant saluer son «très beau parcours ». « J’aimerais que beaucoup de jeunes, demain, aient le même», poursuit le ministre dans l’Hémicycle.

Il y a mille manières d’entrer dans l’histoire de cette élue pétillante et volubile, née à Tunis en 1982, française depuis 2012, députée depuis huit mois. Pour son ami le philosophe Pascal Bruckner, elle serait « l’anti-Bourdieu », l’incarnation d’une génération qui a échappé à la reproduction sociale. «Je l’accepte avec plaisir », confie la trentenaire, en chemisier blanc et tailleur sombre. Son itinéraire est celui d’une enfant de la méritocratie, de part et d’autre de la Méditerranée. L’aînée de cinq filles élevées par un père ouvrier chez Peugeot à Tunis et une mère au foyer. Une passionnée de livres, «tombée amoureuse de la langue française en lisant Voyage au bout de la nuit, de Céline», qui opte pour des études de commerce en Tunisie et enchaîne avec une double maîtrise et un doctorat à Toulon.

« MIGRANTE ÉCONOMIQUE »

Son parcours y devient intimement lié aux grands débats sur l’immigration et l’intégration en France. «Je me considère comme une “migrante économique” », dit-elle aujourd’hui en dessinant des guillemets avec ses doigts. Etudiante, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur lui avait accordé une bourse pour financer sa thèse en sciences économiques sur les pôles de compétitivité. «Vous vous rendez compte ? Un Etat qui subventionne le doctorat d’une étrangère ! » Elle en acquiert une conviction sur son pays d’accueil : « En France, quand vous êtes étranger, que vous arrivez et que vous n’avez pas d’argent, on ne vous laisse pas tomber. » Ses yeux s’illuminent de la « fierté » de payer des impôts, elle qui, étudiante, avait du mal à croire que la Caisse d’allocations familiales puisse lui accorder des aides «alors que [s]es parents n’ont jamais cotisé en France ».

Quand elle arrive à Paris comme enseignante en management, comptabilité et stratégie d’entreprise à la faculté d’Assas, cette ascension séduit une petite élite d’intellectuels, conseillers politiques et hauts fonctionnaires prêts à la prendre sous leur aile. Olivier Binst, conseiller français du gouvernement de transition tunisien après la chute de Ben Ali en 2011, la repère lors d’une réception organisée par une fondation pour l’éducation des filles tunisiennes et décide de la convier à ses dîners en ville.

Avant de la présenter à Pascal Bruckner, il prévient : « Tu verras, c’est la nouvelle Tunisie, il faut que l’on soutienne ce camp-là. » Tous deux s’accordent ensuite pour présenter cette « jeune Maghrébine qui dément tous les clichés habituels » à l’un de leurs amis : Manuel Valls. Le hasard veut que ce soit lui, fraîchement nommé au ministère de l’intérieur, qui ait signé le décret de naturalisation de la Franco-Tunisienne. Le rapport de la jeune femme à l’islam plaît à cette élite très stricte sur le sujet de la laïcité. «Il était hors de question que ses sœurs se voilent», se souvient Olivier Binst. Sonia Krimi admet entretenir, depuis son adolescence, une forme de scepticisme à l’égard de la religion : « Petite, je posais des questions, je demandais: “Vous êtes sûrs que tous les chrétiens vont en enfer ?” et je me prenais des gifles. »

La trentenaire n’est cependant pas complètement en phase avec ce que ses amis voudraient voir en elle. A eux, comme aux électeurs d’extrême droite rencontrés dans sa circonscription toujours prêts à lui glisser qu’elle n’est « pas comme les autres » – sous-entendu, les « autres Arabes » –, elle répète que « ce sont eux qui ne connaissent pas d’autres Arabes” ». « Il y a un racisme d’ignorance en France », se désole-t-elle, tout en restant très ferme sur la question de l’intégration. « Quand on s’installe dans un pays, il faut s’ouvrir; ce n’est pas normal, quand on a passé vingt ans ici, de ne toujours pas parler le français», assène-t-elle.

A son grand regret, sa naturalisation est arrivée trop tard pour qu’elle puisse voter à la présidentielle de 2012. La jeune femme suit alors de près l’actualité politique française. Le grand malaise de la gauche sur les questions d’identité après les attentats de 2015 l’éloigne progressivement du Parti socialiste, en particulier lors du débat sur la déchéance de nationalité. Un homme retient son attention : Emmanuel Macron. «Il a été le seul à dire, contrairement à Manuel Valls, que chercher à expliquer la radicalisation des djihadistes, ce n’était pas leur pardonner », dit la députée.

Sonia Krimi se rapproche alors d’En marche!, à Paris, où elle est domiciliée. Mais c’est dans la Manche qu’elle passe l’essentiel de son temps professionnel. Depuis quelques années, elle a changé de métier pour devenir « cost killer » au service de grandes entreprises. Sa mission : former les salariés à l’optimisation de la production. Parmi ses clients figurent les sites d’Areva et de Naval Group sur le littoral du Cotentin. Dès lors, elle décide d’installer également sa vie militante à Cherbourg et rejoint un comité local d’En marche ! à quelques mois de la présidentielle de 2017.

Son histoire y devient celle d’un improbable scénario électoral, à l’issue duquel elle rafle, en juin, la circonscription du premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Improbable car c’est en dissidente qu’elle se présente au scrutin et qu’elle remporte, au second tour, un duel 100 % macroniste. Fâchés de l’investiture sous l’étiquette LRM d’un juppéiste, Blaise Mistler, des « marcheurs» ont encouragé Sonia Krimi à aller au combat. Sa victoire est d’autant plus atypique qu’elle est permise, entre autres, par l’appel de la droite locale à voter en sa faveur. Une manière de se venger de Blaise Mistler, ancien Les Républicains (LR) qui, lors d’autres scrutins, s’était présenté en dissident contre les appareils locaux. Sonia Krimi est néanmoins, selon Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po, la députée LRM la plus mal élue, envoyée à l’Assemblée par à peine plus de 11 % des inscrits de la circonscription.

De cette campagne menée «le couteau entre les dents », selon un « marcheur », Sonia Krimi et les militants cherbourgeois gardent la complicité des survivants. Quand elle les retrouve sur le marché de Cherbourg, un samedi de janvier, la députée les embrasse en les saisissant par les épaules, comme on le fait avec des amis chers. Aux «marcheurs» comme aux citoyens croisés, elle distribue les sourires, elle prend des mains, éclate de rire. Sa bonne humeur communicative lui a permis de se faire adopter par les locaux, notamment par une bande de sexagénaires de La Hague, devenus de fervents soutiens durant la campagne. Quand elle le peut, à l’heure des paris pour le quinté, elle leur apporte des croissants au PMU de la commune où se trouve l’usine de retraitement de déchets nucléaires. « Elle nous change des vieux papis qu’on avait avant », raconte l’un d’eux, maire d’une petite commune.

UN « VRAI STATUT » POUR LES SANS-PAPIERS

Depuis qu’elle est élue, ses amis intellos parisiens ont un peu moins de ses nouvelles. Ils ont aussi décelé chez elle des signes de prise de distance vis-à-vis de leurs propres idées. « J’ai vu qu’elle s’affichait avec Jean-Louis Bianco, cela me chagrine un peu », dit Pascal Bruckner, alors que le président de l’Observatoire de la laïcité est la cible privilégiée de cette frange intellectuelle et politique convaincue qu’il est trop accommodant avec l’islam. La députée se dit, elle, en accord avec sa « vision basique de la laïcité mais qui laisse sa place à l’autre». Sur la politique migratoire non plus, Sonia Krimi n’est pas sur la même ligne depuis qu’elle a affirmé ses désaccords avec Gérard Collomb. « Il est hors de question qu’il y ait des mineurs dans les centres de rétention », prévient-elle, tout en exprimant ses « doutes sur l’efficacité de l’extension de la durée d’accueil en centre de rétention qui est prévue dans le texte». Elle défend aussi la mise en place d’un « vrai statut » pour les sans-papiers « avec des droits et des devoirs » et plaide pour «qu’on ouvre les tuyaux de l’immigration légale ».

Aujourd’hui, Sonia Krimi place dans son panthéon personnel Christiane Taubira et l’écrivaine Fatou Diome. « Je suis très inspirée par ces gens qui ont des racines parce qu’ils savent d’où ils viennent», déclare-t-elle. A l’Assemblée, elle partage un assistant parlementaire avec son voisin de bureau, le député de la Vienne Jean-Michel Clément. Cet ancien socialiste rallié à Emmanuel Macron fait partie des voix les plus critiques de la politique d’accueil des migrants en France. Il est aussi l’un des membres actifs du « pôle social », l’aile gauche de la majorité pilotée par une autre ancienne socialiste, Brigitte Bourguignon. Un collectif que Sonia Krimi a rejoint en fin d’année.

Localement, certains craignent que ses prises de position ne la marginalisent et ne pénalisent la circonscription à terme. « Elle a beaucoup de charme, mais elle est en apesanteur», grince un parlementaire de la Manche qui ne voit pas en elle une « femme politique ». Sur les réseaux sociaux, certains opposants raillent son accent maghrébin ou ses déclarations parfois approximatives. Ses proches, eux, s’efforcent de « cadrer » celle qui a parfois tendance à exprimer un peu trop directement ses vues. «Quand un texte est bon, on n’a pas besoin de parler fort», lui avait conseillé Richard Ferrand, président du groupe LRM à l’Assemblée, au soir de sa question à Gérard Collomb.

Parler fort lui a cependant valu une petite notoriété dans la Manche. Au PMU de La Hague où il finit son café avec les turfistes, un client l’interpelle. « Mme Krimi ? Je suis content de vous voir, je n’ai pas voté pour vous mais je le regrette, j’aurais dû m’intéresser à vous avant », confesse ce sympathisant socialiste. Croix de bois, croix de fer, la députée assure qu’elle n’avait aucune intention ni d’attirer la lumière sur elle ni de semer la zizanie dans un groupe où la règle est de taire ses désaccords en public. Mais elle précise : « C’est notre capacité de débat qui fera qu’il n’y aura pas de fronde. » Avec ce vœu pour l’avenir : « Je n’ai pas envie que l’on parle de la France dans cent cinquante ans comme d’un pays qui n’a pas su accueillir. »

samedi 24 février 2018

En Tunisie, la quête de respectabilité des islamistes d’Ennahda

C'était le 15 février, au cœur du quartier du Bardo, à Tunis, ciel noir et chaussées mouillées. Dans la salle des pas perdus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Naoufel Jammali, un échalas au verbe délié, évoquait l’évolution doctrinale de son parti, Ennahda, le mouvement islamiste tunisien. Président de la commission des droits, des libertés et des relations extérieures de l’ARP, l’homme est au carrefour de bien des débats agitant la jeune démocratie tunisienne, seule rescapée de la vague des «printemps arabes». Ce jour-là, il s’expliquait sur l’opposition de son parti à une proposition de loi visant à «criminaliser » les relations avec Israël et dont la discussion a été repoussée sine die par sa commission. Au centre de ses préoccupations : le sort des investissements étrangers en Tunisie qui, s’alarmait-il, pourraient être affectés si une telle loi devait être votée. « Il faut protéger les intérêts supérieurs de l’économie tunisienne », affirmait-il. « Nous [les partisans d’Ennahda], ajoutait-il, sommes toujours présents là où l’on ne nous attend pas. »

Quelques jours plus tard, la formule a pris tout son sens. Un porte-parole d’Ennahda annonçait qu’un juif tunisien, Simon Slama serait candidat sur une liste du parti islamiste à Monastir (côte orientale), à l’occasion des élections municipales du 6 mai. La nouvelle a fait sensation en Tunisie, et au-delà. On n’attendait pas » Ennahda sur ce terrain de la séduction de la communauté juive tunisienne. Tout comme on ne l’« attendait pas » sur le front des droits des femmes. En juillet 2017, le parti a soutenu l’adoption d’une loi réprimant les violences faites aux femmes. En ce qui concerne la perspective d’instaurer l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage, un objectif que s’est fixé le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, M. Jammali affirme: «Nous sommes prêts à en débattre dans un climat serein et démocratique. »

Jusqu’où Ennahda ira-t-il dans sa mue doctrinale ? Le parti évolue par petites touches. La logique de cette mutation est limpide: la quête de la respectabilité, notamment au niveau international, afin d’effacer les stigmates de ses accointances passées avec certains groupes salafistes radicaux. Le grand tournant a été formalisé en mai 2016, lors d’un congrès à Hammamet, à l’issue duquel Ennahda s’est redéfini comme un parti « civil », « spécialisé » sur la seule action politique et délesté de ses activités traditionnelles de prédication religieuse (dawa). Désireux d’apparaître comme pleinement « tunisien », Ennahda proclame qu’il a cessé d’être la branche locale de l’internationale des Frères musulmans. Et s’il admet toujours l’islam comme « référentiel », il veut tourner la page de l’islam politique », refusant même d’être qualifié d’« islamiste». Il endosse plus volontiers le label de « démocrate-musulman », à l’image des « démocrates-chrétiens » européens.

Une telle mutation est le produit de la grave crise de l’été 2013, qui avait propulsé la Tunisie au bord de la guerre civile. A l’époque, Ennahda, qui dominait la coalition au pouvoir – la « troïka » –, était défié par une rue en colère qui lui reprochait sa complicité avec la montée de la violence salafiste. Au même moment, le président égyptien, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, était renversé par un coup d’Etat. Face à cette géopolitique régionale devenue défavorable, Ennahda a opté pour la survie immédiate, une attitude inspirée par la mémoire encore fraîche de la répression subie sous la dictature de Ben Ali.

«IL N’Y A PLUS DE TABOU»

Aussi le parti a-t-il accepté – non sans mal – de négocier avec ses adversaires tunisiens de Nidaa Tounès, un front hostile à l’islam politique regroupant démocrates progressistes et réseaux issus de l’ancien régime de Ben Ali. La rencontre du 14 août2013, à l’Hôtel Bristol, à Paris, entre Béji Caïd Essebsi, le fondateur de Nidaa Tounès, et Rached Ghannouchi, le patron d’Ennahda, a jeté les bases d’une réconciliation entre les deux camps. Celle-ci prendra la forme, début 2015, au lendemain de la victoire de Nidaa Tounès aux élections législatives et présidentielle, d’une coalition gouvernementale venant d’entrer dans sa quatrième année.

Une telle conversion au pragmatisme d’Ennahda n’a pas fait disparaître les suspicions à son encontre. Dans le camp hostile à l’islam politique, certains doutent encore de la «sincérité» de cette évolution. Selon eux, le positionnement d’Ennahda relève du simple opportunisme, dicté par les rapports de forces politiques, et est réversible dans un contexte différent. Simultanément, l’attitude d’Ennahda au sein de la coalition au pouvoir, marquée par une loyauté confinant au suivisme vis-à-vis de Nidaa Tounès, a consolidé son crédit de « parti de gouvernement », au risque de lui aliéner certaines franges de son électorat.

Sachant qu’il est toujours sous surveillance, Ennahda a multiplié les concessions afin de faire mentir les critiques à son encontre. Il était aux premières loges, en janvier, pour défendre le gouvernement confronté à l’agitation sociale. « Il n’y a plus de tabou », affirme M. Jammali, y compris pour l’amnistie de cadres de l’ancien régime impliqués dans les malversations de l’époque. On dirait Ennahda métamorphosé en simple parti conservateur à la tunisienne, partisan à la fois du statu quo social et d’un certain progressisme sociétal hérité de Habib Bourguiba. Mais qu’une évolution aussi significative se produise sans turbulences au sein de son appareil dirigeant, sans départs ni dissidences, révèle un fonctionnement vertical susceptible de nourrir des interrogations. La « normalisation » d’Ennahda n’en est qu’à ses prémices.

vendredi 16 février 2018

La peur de la contagion

Retour djihadiste


Début 2017, les Tunisiens ont clamé leur refus d’un retour des djihadistes qui avaient rejoint Daech. Les autorités affirmaient alors tout savoir sur les 2 926 Tunisiens liés au terrorisme, ce qui n'etait au final qu'une mesonge de plus.
Or, en 2015, un rapport des Nations unies avait révélé qu’ils étaient plus de 5 000.
En décembre, la députée Leila Chettaoui, présidente de la Commission parlementaire qui enquête sur les flières djihadistes, alertait sur les ondes de Shems FM : des combattants rentrés au pays “sont dans la nature et personne ne peut les identifer”.

L’universitaire Emna Ben Arab avance, elle, que de nombreux djihadistes sont en détention. “Ils reçoivent des visites de la part de leurs proches et jouissent d’un système de soutien psychologique et matériel.”
“Les centres de réhabilitation ont un coût et le pays n’a pas cet argent. Il n’y a aucune trace d’un projet de déradicalisation”, souligne Badra Gaaloul, la présidente du Centre international d’études stratégiques sécuritaires et militaires, dans Al-Araby Al-Jadid. “En Tunisie, il s’agit de 900 détenus, alors que près de 3 000 autres seraient de retour”, explique-t-elle. Ces détenus auraient fait des émules et au moins 27 000 jeunes seraient sur la voie de la radicalisation. “L’histoire nous a déjà montré que la prison n’était pas une solution. C’est plutôt un vivier pour les recruteurs. La Tunisie n’est pas prête pour le retour des djihadistes.”

mercredi 14 février 2018

Visite de Macron en Tunisie

Après la Chine, c’est à la Tunisie qu’Emmanuel Macron a consacré sa deuxième visite d’État, les 31 janvier et 1er février. Un cadre solennel pour jeter les bases d’une relation rénovée et innovante entre la France et la Tunisie. « Nous ne vous aiderons pas en tant qu’ami ordinaire ou ami proche, nous vous aiderons en tant que frères et sœurs », a assuré Macron devant les députés tunisiens. Une fraternité qui a pour gènes communs des liens séculaires adossés à une histoire et à un espace euroméditerranéen. Elle se traduit par un soutien de 500 millions d’euros sur la période 2020- 2022, en sus des 1,2 milliard mis à disposition de la Tunisie de 2016 à 2020 et d’un décaissement de 80 millions d’euros pour financer des projets, sans oublier 30 millions de reconversion de la dette en projets de développement.

Dans un moment de vulnérabilité politico-économique, les Tunisiens n’en attendaient pas moins de leur premier partenaire. Mais « l’élan compassionnel de la France envers la Tunisie ne s’est pas traduit en actes économiques concrets », déplore l’ancien ministre de l’Économie Hakim Ben Hammouda. L’économiste Ezzeddine Saïdane nuance : « Les chiffres présentés ne sont pas de l’investissement mais du financement. Le problème n’est pas dans les intentions mais dans les capacités de la Tunisie à mettre en œuvre les accords. » Pour Macron, il n’est pas question de chiffres mais de la construction d’un rapport de confiance. Pas de promesses qui ne seront pas tenues, comme celle de la mise en place d’un Haut Conseil de coopération faite par Hollande ou d’un accord sur les migrations proposé par Nicolas Sarkozy, mais quatre feuilles de route bilatérales. Le chef de l’État français entend faire de la Tunisie, ce « modèle de démocratie », un coéquipier, un pivot régional. « À cette aune, on se serait attendu à une annonce forte sur un partenariat stratégique conférant un statut spécial à cette démocratie et qui se serait démarquée de l’agenda strictement européen », commente Mehdi Taje, professeur de géopolitique. En effet, en axant son soutien sur la sécurité, l’éducation, les jeunes et le genre, Macron est dans le droit fil de la politique européenne en Tunisie. Il s’en fait le porte-drapeau. Conscient des menaces que projette la rive sud – les incertitudes algériennes, le trou noir libyen qui exacerbe les rivalités extra-européennes et européennes, notamment avec l’Italie –, Macron voit la Tunisie comme un point d’ancrage au Maghreb et dans l’espace euroméditerranéen. Pour renforcer ce cap politique, il a reconnu que l’intervention de la coalition occidentale en Libye a été une erreur. La déstabilisation de la Libye a porté un préjudice considérable, notamment économique et sécuritaire, à la Tunisie. Et il le sait : « Notre sécurité dépend de votre avenir. »

En fligrane : l’immigration

La problématique est devenue commune et prioritaire. Ce n’est pas un hasard s’il appelle à une stabilité régionale depuis le seul pays à n’avoir aucun différend avec les 53 autres pays africains et s’il met la Tunisie, qui agit par ailleurs avec l’Algérie et l’Égypte, dans la boucle des pourparlers onusiens pour la résolution du conflit libyen. Macron est en rupture avec les stratégies traditionnelles. Il s’est éloigné du schéma de l’Union pour la Méditerranée (UPM), promue par Nicolas Sarkozy, et propose une coopération méditerranéenne avec un nombre plus limité de pays, dont ceux du Maghreb, avec la participation de la société civile. Au cœur de cette construction d’un espace entre l’Europe et l’Afrique se trouve le couple franco-tunisien, « une relation fiable en Méditerranée ». En filigrane, la question de l’immigration est omniprésente. Le président français l’aborde sur le long terme et rompt avec les approches classiques qui consistent à donner des moyens pour surveiller les côtes et renforcer le contrôle aux frontières. Il mise sur la formation donnée aux nouvelles générations pour freiner la migration. Avec la remise en selle de la langue française, la création d’une université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée, il entend faire de la Tunisie un hub d’enseignement, de formation et de culture, mais aussi un sas pour une émigration choisie qui ne dit pas son nom. Il fait reposer ce dispositif sur les capacités de la Tunisie en matière d’enseignement et de nouvelles technologies. Il rompt encore une fois avec les approches classiques, mise sur le partenariat public-privé et promeut une nouvelle génération de Tunisiens, dont celle issue du réseau de l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge). En mettant en avant les capacités du secteur numérique, Emmanuel Macron projette la Tunisie dans le futur et en oublie le tissu industriel, essentiel à structurer le pays. Mais sa promenade dans les souks de Tunis aura été plus porteuse pour le tourisme que toutes les campagnes publicitaires et tous les discours sur la sécurité.





dimanche 11 février 2018

A Doha, les Tunisiens comme des coqs en pâte

LA TUNISIE À L’HEURE DU MONDIAL


La sélection a débuté sa préparation lors d’un stage tous frais payés par le Qatar.

Pendant six mois, le pays va accompagner la Tunisie sur la route de la Coupe du monde de football, qui aura lieu du 14 juin au 15 juillet en Russie. Chaque mois, notre envoyé spécial auprès de la sélection tunisienne abordera un aspect différent du contexte dans lequel se prépare une équipe dont la dernière participation au Mondial remonte à 2006.

Une immense tour, en forme de torche olympique, qui semble ne jamais finir. L’impression qui saisit le visiteur à la vue de cette construction atypique, conçue pour les Jeux asiatiques de 2006, est à la hauteur de la réputation de Doha. En plein cœur de l’Aspire Zone, sorte d’immense eldorado pour sportifs, The Torch illumine la nuit qatarie avec ses milliers d’ampoules violettes, roses et bleues. La brochure de cet établissement cinq étoiles annonce la couleur avec emphase : « Avec ses 300 mètres de haut et ses vues panoramiques à 360 ° sur tout Doha, The Torch est un paradis pour les voyageurs exigeants, qu’il s’agisse de sportifs ou de personnes en quête de santé ou de bien-être. » En cette année de Coupe du monde, l’équipe nationale de Tunisie, qui affrontera notamment l’Angleterre et la Belgique au premier tour, ne manque en effet pas d’exigences. Du 1er au 18 janvier, les footballeurs tunisiens ont pris leurs quartiers au Torch pour leur premier stage de préparation au cinquième Mondial de leur histoire. Deux semaines intensives durant lesquelles ils ont bénéficié d’infrastructures rivalisant de modernité, à l’image de la célèbre clinique du sport Aspetar. Mardi 9 janvier, les joueurs tunisiens s’entraînent sur le terrain numéro 8 du complexe Aspire. Les consignes du sélectionneur Nabil Maâloul ne couvrent pas le chant des oiseaux diffusé par les haut-parleurs. Une trentaine de spectateurs est venue assister à la séance. Lors des premiers entraînements, effet de mode, ils étaient 1 500 à 2 000. Il faut dire que la communauté tunisienne, forte de 26 000 ressortissants, est l’une des plus importantes de Doha.

Sélectionneur en terrain connu 

Au pays, le choix du lieu de ce premier stage a divisé. Sans oublier que seuls les joueurs « locaux », ceux qui évoluent dans le championnat tunisien, ont pu être mobilisés. Ainsi, le quotidien La Presse de Tunisie se montrait persifleur : « Aller jusqu’à Doha pour préparer physiquement les joueurs locaux est, franchement, insensé. » Présentateur de la chaîne qatarie Al-Kass, le journaliste tunisien Haykel Chaari, qui tourne un documentaire sur la préparation des Aigles de Carthage, résume à sa manière les deux points de vue qui s’opposent : « Les uns estiment que c’est une bonne chose de faire profiter la sélection d’une pause du championnat pour organiser un rassemblement. Les autres estiment que cela ne sert à rien sans les joueurs qui évoluent à l’étranger. » Initialement, deux destinations étaient en concurrence mais la délocalisation du Kenya au Maroc du Chan, Championnat d’Afrique des nations, a rendu impossible le choix de Marrakech. « On a donc opté pour la proposition du Qatar. En plus, les conditions climatiques en cette période sont sensiblement identiques à ce que l’on verra en Russie en juin », défend Bilel Foudhaili, membre du bureau de la Fédération tunisienne de football (FTF). Hormis les billets d’avion, la FTF n’a pas eu un riyal qatari à débourser pour ce séjour à six heures de vol de Tunis. La délégation tunisienne a été complètement prise en charge. Alors que la Tunisie vit une crise sociale et économique qui s’éternise, marquée par des manifestations parfois violentes, l’argument ne peut laisser insensible. « Le rassemblement nous aurait coûté plus cher en Tunisie. Les journalistes auraient bien aimé avoir les joueurs sous les yeux. Ces critiques relèvent du dépit amoureux », taquine le dirigeant. Au Qatar, Nabil Maâloul était en terrain connu. Il a entraîné en 2014 le club d’Al Jaish et il est toujours consultant pour la chaîne beIN Sports Mena, diffusée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Après la qualification acquise en novembre dernier, son message en faveur de la levée de l’embargo qui frappe le Qatar avait suscité la polémique.

L’entregent qatari du sélectionneur tunisien a certainement facilité l’opération mais il ne fait pas tout. Le Maroc, autre équipe arabe qualifiée au Mondial, a également reçu une invitation. Droit dans ses bottes, l’ex-international de 55 ans revendique son franc-parler et se félicite d’avoir pu débuter aussi tôt sa préparation. « Je remercie le président de la Fédération qui a arrêté le championnat. Je n’ai pas d’inquiétude pour les joueurs de l’étranger, qui sont prêts physiquement, mais ce stage me permet de débuter la remise à niveau athlétique des joueurs locaux », explique-t-il. L’ancien joueur de l’Espérance sportive de Tunis et d’Hanovre en Bundesliga ne laisse rien passer à ses troupes. Il manie la carotte et le bâton, renvoyant par exemple deux de ses joueurs en short se rhabiller pour le dîner et prenant lui-même la photo d’un fan avec l’un de ses protégés. « Si tu laisses filer quelque chose, c’est foutu. Ce sont les petits détails qui font la différence pour se rapprocher du haut niveau. Ils l’ont pris avec le sourire. Je suis un peu comme leur père. » Sur les 25 joueurs présents dans la capitale qatarie, plus d’une dizaine risque bien de ne pas constater la légendaire bonhomie des douaniers russes. Né à Lyon, révélé à Mouscron en Belgique mais joueur de l’Espérance depuis 2016, Anice Badri croit en sa bonne étoile : « Il est vrai que certains ne seront pas du voyage mais j’y crois à fond. Même sans les expats, ce stage permet de resserrer les liens et de bosser physiquement. C’est utile car, au contraire de l’Europe, notre championnat se joue sur un rythme haché, entrecoupé de beaucoup d’arrêts de jeu. » Tests physiques dernier cri Le préparateur physique Khalil Jebabli a profité de l’hospitalité qatarie pour mener toute une série de tests physiques dernier cri [pour une valeur estimée à 100 000 euros]. « Ici, c’est la hightech. Grâce à un travail scientifique de pointe, on a récolté des données qui vont permettre aux joueurs de se préparer tout au long de la saison, détaille le jeune homme, venu renforcer le staff en vue du Mondial. Les joueurs locaux doivent avoir conscience de leurs manques pour franchir un palier vers le haut niveau. » Le 22 janvier, une réunion a été organisée avec les préparateurs physiques des clubs de l’élite. Dès la fin du mois, 25 gilets GPS équiperont la sélection afin d’affiner cette préparation athlétique.

Au Qatar, l’équipe de Tunisie a disputé deux matchs face à des clubs locaux (une défaite 1-0 et un succès 6-0) mais n’a pas eu l’occasion de croiser le fer avec d’autres sélections nationales. Un temps pressenti, le Koweït a décliné à cause de la Coupe du Golfe organisée sur son territoire jusqu’au 5 janvier. « Ce n’était pas une période FIFA [temps pendant lequel les clubs ont l’obligation de libérer leurs joueurs pour les sélections nationales]. Lorsque l’on joue un club, on nous critique parce que ce n’est pas une équipe nationale. Si on avait choisi de ne pas jouer, on nous l’aurait reproché aussi. C’est un éternel cassetête », répond Bilel Foudhaili. Après avoir exploré plusieurs pistes sans succès, la Fédération a obtenu récemment des accords pour ses matchs de préparation

Fin mars, la Tunisie va affronter l’Iran à domicile et le Costa Rica à Nice, ville qui compte également une importante communauté tunisienne. En juin, juste avant de s’envoler pour la Russie, c’est l’Espagne qui devrait être au programme. Le test ultime pour juger de la qualité de la préparation des Aigles de Carthage.


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