mardi 19 décembre 2017

Le dictateur Ben ali est de retour bientôt en Tunisie ?

Béji Caïd Essebsi : « Ce n’est pas un crime d’avoir travaillé avec Ben Ali »

En visite à Paris la semaine du 11 décembre, le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, 91 ans, a rencontré Emmanuel Macron, qu’il recevra à Tunis en janvier 2018. Il revient pour Le Monde sur l’état de son pays, six ans après le déclenchement de la révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir.


D’anciens collaborateurs de Ben Ali ont fait leur retour au gouvernement récemment. C’est l’ordre ancien qui revient ?

Et ceux qui ont travaillé avec Bourguiba, on va les exclure ?
Quand Ben Ali était au pouvoir, 2 millions de Tunisiens travaillaient avec lui. On ne va pas les exclure. Chaque Tunisien a le droit de participer à la vie de son pays s’il n’a pas été l’objet d’une condamnation. Ce n’est pas un crime d’avoir travaillé avec Ben Ali, sinon on leur enlève la nationalité. Et ça, personne d’autre que la justice ne peut le faire.

Au moment où votre premier ministre, Youssef Chahed, a lancé une chasse à la corruption, une loi a amnistié la corruption administrative. N’est-ce pas contradictoire ?
Je suis l’auteur de cette loi. Elle ne vise que les fonctionnaires compétents qui ont exécuté des instructions directes et irréfragables de l’Etat de l’époque. On n’a pas amnistié des gens qui ont détourné de l’argent de l’Etat. Cette loi de réconciliation vise à profiter de l’expérience des hauts fonctionnaires qui restaient les bras croisés car ils avaient peur d’être punis.

En septembre, vous avez critiqué durement l’Instance vérité & dignité (IVD), symbole de la transition politique. Que lui reprochez-vous ?
L’IVD n’a pas de quoi être fière de son rendement. A mon avis, elle n’a pas rempli son rôle de justice transitionnelle. C’est une instance légale, je respecte son existence, mais elle n’est pas constitutionnelle. Elle partira au terme de son délai fixé par la loi, en 2018.

On vous reproche de présidentialiser le régime...

Je suis responsable du respect de la Constitution. Nous n’avons pas de système présidentiel. L’exercice de mon mandat est soumis au contrôle populaire. Il n’y a donc aucune chance que le système actuel débouche sur un présidentialisme. Personnellement, je suis pour un système présidentiel bien contrôlé pour éviter la dérive présidentialiste que nous avons connue sous Ben Ali et Bourguiba.

Vous présenterez-vous à la présidentielle de 2019 ?
[Rires] Quand je me suis présenté, j’avais 88ans, et à la fin de mon mandat, j’en aurai 93. Je suis quelqu’un de sérieux. Mes obligations vont jusqu’en 2019, et l’avenir est à Dieu.

Votre fils, Hafedh Caïd Essebsi, dirige Nidaa Tounès, la principale composante de la majorité gouvernementale. N’est-ce pas le début d’une dérive dynastique ? 
Il faudrait qu’il soit élu pour cela. Il n’a pas hérité le parti de moi, il a été désigné par un congrès à Sousse. Si les responsables de Nidaa Tounès ne sont pas contents de lui, ils n’ont qu’à le renvoyer.

Les élections locales, prévues le 17 décembre, ont été reportées au 25 mars 2018. Et maintenant, on parle d’un nouveau report. Est-ce normal, six ans après la révolution ?
Je suis pour des élections le plus rapidement possible. Si elles n’ont pas pu se tenir le 17 décembre, c’est parce que l’instance électorale n’était pas au complet. Maintenant, certains partis réclament un report. Pour moi, il ne faut pas que cela dépasse le mois d’avril. Je vais m’y employer.

Vous vous êtes engagé à faire adopter deux réformes en faveur de l’égalité femmes- hommes. Les islamistes d’Ennahda vont-ils l’accepter ?
Concernant le mariage des Tu- nisiennes à des non-musulmans, le ministère de la justice a retiré la circulaire de 1973 [qui obligeait les hommes non musulmans à se convertir à l’islam avant le mariage]. Au sujet de l’égalité d’héritage, j’ai créé une commission qui va préparer les textes appropriés. Pour le moment, Ennahda n’a rien dit, mais je ne pense pas qu’ils y verront un inconvénient majeur. La Constitution de 2014 pose les bases d’un Etat civil, pas religieux. Je ne reviendrai jamais sur ma promesse, car sans promotion de la femme, il ne peut pas y avoir de démocratie.

Cette année, il y a eu des manifestations au Kef, à Tataouine. Est-ce qu’une deuxième révolution, sociale celle-là, est possible ?
Nous souffrons malheureusement d’un chômage important : 628 000 personnes, dont 250 000 titulaires de diplômes supérieurs. Si vous ajoutez à cela des régions de l’intérieur marginalisées, tous les ingrédients d’un malaise social sont réunis. Ces mouvements sont naturels. La révolution a réalisé la liberté d’expression. Mais la dignité, c’est aussi le travail. Seulement, nous ne pouvons pas tout régler d’un coup de baguette magique.

La Libye est-elle toujours une menace sécuritaire pour vous ? 
Cela a été le cas. Nous avons une frontière commune de 450 km qui n’était pas très sécurisée. Nos relations étaient amicales et intenses par le passé. Mais il y avait un Etat libyen à l’époque. Aujourd’hui, il n’y a plus que des groupuscules armés. En 2015, nous avons subi trois attentats dus à des infiltrations. Aujourd’hui, la frontière est sous contrôle.

Selon l’ONU, 5 500 Tunisiens ont rejoint des groupes extrémistes comme l’organisation Etat islamique ou Al-Qaida...
C’est exagéré. Il y en a 2 000 environ. C’est trop évidemment, mais maintenant, les choses sont maîtrisées. En cas de retours, ces personnes sont soumises à la loi. Beaucoup sont en état d’arrestation ou en résidence surveillée

lundi 11 décembre 2017

Libye

En Tunisie, les maires libyen veulent peser sur le processus de réconciliation


L’événement a été qualifié d’« historique » par Ghassan Salamé, le chef de la mission des Nations unies pour la Li- bye. Quatre-vingt-quatorze mai- res libyens se sont réunis du 6 au 8 décembre à Hammamet, ville balnéaire du littoral tunisien, pour tenter de peser sur le scéna- rio d’une réconciliation politique en Libye. Alors que l’impasse se prolonge sur le terrain à la veille du deuxième anniversaire des accords de Skhirat (Maroc) signés le 17 décembre 2015, le rassemblement de ces maires libyens – représentant 90 % de l’ensemble des municipalités du pays – est l’une des rares manifestations transcendant les fractures locales.

Les municipalités, institutions qui constituent les seules structu- res fonctionnelles dans un pays déchiré entre deux gouvernements rivaux – ceux d’El-Beïda à l’est et de Tripoli à l’ouest –, ont toujours été considérées comme un point d’appui potentiel dans la recherche d’un règlement global. L’un des prédécesseurs de M. Salamé à la tête de la mission libyenne des Nations unies, Bernardino Leon, avait déjà tenté d’activer un tel réseau. La tentative n’avait pas été très concluante. La réunion d’Hammamet inaugure toutefois une approche différente en raison de sa très large représentativité.

Les maires sont venus de toute la Libye et se reconnaissent dans le gouvernement de Faïez Sarraj à Tripoli ou dans celui d’El- Beïda soutenu par le maréchal Haftar, chef en titre de l’Armée nationale libyenne (ANL) et homme fort de la Cyrénaïque (est). Une rencontre de cette ampleur est sans précédent.

Fracture politique profonde

L’initiative, organisée grâce à la médiation de l’ONG suisse Centre pour le dialogue humanitaire, visait surtout à débattre des questions de gouvernance locale, notamment de la nécessité de four- nir des services publics (eau, électricité, santé...) propres à soulager les difficultés quotidiennes de la population. La portée de la réunion est pourtant clairement politique. Dans une déclaration finale, les maires libyens affirment leur « détermination » à faire sortir leur pays de son état actuel « de division et de désintégration ». Ils proposent de mettre en place un réseau de « comités de réconciliation » sous les auspices des municipalités. Ils appellent enfin la communauté internationale à les « intégrer » dans tout processus de règlement global.

« Cette réunion peut être un premier pas vers la réconciliation », affirme Abdelrahman Al-Abbar, le maire de Benghazi (est), proche du maréchal Haftar. « Malgré nos divisions politiques, les municipalités ont de bonnes relations entre elles, abonde Youssef Ibderi, le maire de Gharyan, ville située à 90 km au sud-ouest de Tripoli et qui reconnaît l’autorité du gouvernement de M. Sarraj. Nous souhaitons que cette réunion dé- bouche sur une réconciliation. » Les organisateurs de la réunion d’Hammamet espèrent jouer sur ces solidarités municipales autour des préoccupations communes de gouvernance locale pour contourner l’inlassable querelle de légitimité opposant les deux gouvernements de l’est et de l’ouest. Le pari réussira-t-il ? La tâche s’annonce délicate tant la frac- ture politique demeure profonde.

Certains maires de l’ouest, issus des élections municipales de 2012, avouent en effet leur « malaise » face à leurs homologues de l’est qui doivent leur poste, non à une élection, mais à leur nomination par le camp du maréchal Haftar. Ce dernier a en effet démis de leurs fonctions nombre de maires élus en Cyrénaïque pour les remplacer par des gouverneurs militaires. « Haftar est hostile au processus démocratique », déplore Youssef Ibderi, le maire de Gharyan. Le maire de Benghazi maintient quant à lui son soutien au chef en titre de l’armée. «L’armée du maréchal Haftar dispose du soutien populaire », insiste-t-il.

De tels antagonismes sont-ils surmontables ? Les maires présents à la réunion d’Hammamet veulent le croire. « On finira par arriver à se réconcilier, souligne M. Elabbar. La situation actuelle ne peut pas durer. »

Dans l’immédiat, le climat de confiance forgé à Hammamet pourrait servir à jeter les bases de la « conférence nationale » appelée de ses vœux par M. Salamé en prélude à la tenue de futures élections – législatives et présidentielle. L’avenir du plan de M. Sa- lamé sur la Libye dépend lourde- ment de sa capacité à convertir au plan politique les gains engrangés sur ce front municipal.

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