lundi 9 septembre 2019

Moncef Marzouki

En Tunisie, les Occidentaux doivent changer de logiciel



A l’approche de la présidentielle du 15 septembre, l’ancien chef de l’Etat tunisien appelle l’Europe
à agir pour que les difficultés économiques n’aient pas raison de la démocratie dans son pays.

Les grandes démocraties occidentales se sont toujours bien entendues avec les dictatures contre lesquelles les peuples arabes se sont insurgés en 2011. Seules étaient exemptées de leur bienveillance les dictatures hors contrôle comme l’irakienne ou la libyenne. On se souvient du sort qui leur a été fait.

Durant la période qui a précédé le « prin­temps arabe », nous, opposants démocra­tes, étions regardés par les officiels occi­dentaux avec une condescendante sympa­thie, non dénuée d’un fond de racisme culturel : « Allons donc, un peu de sérieux, ils sont bien sympathiques ces gens ­là, mais les Arabes, de surcroît musulmans, ne sauraient vivre en démocratie. »

Le « printemps arabe », défait mais non vaincu, et se poursuivant aujourd’hui au Soudan et en Algérie, n’a pas vraiment fait bouger les lignes, et encore moins amené certains dirigeants occidentaux à changer de logiciel.

Leur appui à des révolutions authenti­quement démocratiques n’a été ni franc ni massif, mais plutôt timide, contraint et empreint d’une certaine gêne. Qu’est­ ce que cette démocratie bizarre qui amène au pouvoir des islamistes et leurs compli­ces laïques ?

Processus interdépendants


Le retour en force de la contre­révolution, notamment en Egypte, a permis aux grands Etats occidentaux de revenir tran­quillement aux constantes de leur politi­que arabe : ventes d’armes, sous­traitance de la guerre contre le terrorisme et l’émi­gration illégale, impasse sur les droits de l’homme en général et ceux du peuple palestinien en particulier. « Business as usual. » 
Mais quels sont les coûts­béné­ fices réels d’une telle politique aussi bien pour les peuples arabes que pour les peu­ples occidentaux ?

Les processus de démocratisation au nord et au sud de la Méditerranée ont été considérés comme distincts et indé­pendants. Au Nord, l’histoire aurait para­chevé une fois pour toutes la démocrati­sation des Etats et des sociétés. Au Sud, elle est à la peine et nul ne sait si le proces­sus va réellement aboutir. En fait, même avant le « printemps arabe », les processus démocratiques, au Nord comme au Sud, étaient bien plus interdépendants qu’on ne l’admettait.

Il est évident que les politiques occi­dentales d’appui aux dictatures arabes font un tort considérable à nos peuples en freinant leur propre processus de dé­mocratisation, voulu et conduit par une jeunesse des plus connectées et des plus modernes du monde. Moins bien perçu est le tort considérable porté à la démocratie occidentale elle­ même par ces mêmes politiques.

Aujourd’hui, on voit en Europe et aux Etats­Unis la brusque montée des droites extrêmes, notoirement antidémocrati­ques. De quoi se nourrit essentiellement cette vague ? Bien sûr, des difficultés économiques et sociales des sociétés en question, mais aussi, et de plus en plus, de la peur du terrorisme et de la phobie du « grand remplacement » par l’émigration légale ou clandestine.

Or, que sont ces deux menaces, sinon les produits directs de l’échec politique et économique des dictatures arabes portées à bout de bras par des démocraties occi­dentales obnubilées par des bénéfices à court terme et ignorant les énormes effets pervers à moyen et à long terme ? Postuler que les partis d’extrême droite, nourris et engraissés par les peurs du terrorisme et de l’« invasion », constituent un danger mortel pour les démocraties occidentales est certainement exagéré. Mais de tels partis peuvent les affaiblir et, surtout, les déconsidérer aux yeux d’un monde où les Occidentaux ont cessé d’avoir le beau rôle et les coudées franches.

Crise à la grecque


Qui peut contester le fait que plus les démocraties occidentales appuient des régimes vivant de la corruption et de la répression, générant donc plus de terro­risme et d’émigration sauvage, plus elles renforcent leurs droites extrêmes et plus elles affaiblissent leurs propres dé­mocraties, tout en ruinant nos chances de bâtir des Etats de droit et des sociétés pa­cifiées ? Nous voilà tous embarqués dans un terrible cercle vicieux.

Il est clair aujourd’hui que défendre la démocratie au Sud, c’est la défendre au Nord et vice versa. Aussi, l’intérêt bien compris des Occidentaux est d’arrêter leur soutien inconditionnel à des dictatu­res de toute façon en sursis. Leur intérêt bien compris est de faire pression sur leurs clients afin qu’ils entreprennent les réformes démocratiques et de justice sociale, seules capables d’enrayer le terrorisme et l’émigration.

Leur intérêt est aussi de soutenir les dé­mocraties en pleine croissance, comme la démocratie tunisienne. Etranglée par la dette, anémiée par la faiblesse de ressour­ces douanières imposées par les accords avec l’Europe, saignée à blanc par la corrup­tion d’élites bien en cour dans les capitales occidentales pour leur « modernisme », la Tunisie s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise à la grecque, mais sans le filet protecteur de l’Union européenne.

Or une telle crise, mise par une partie de la population sur le compte de la révo­lution, risque de faire avorter tout le processus démocratique, pourtant bien avancé, et de nous ramener à la case départ et à un nouveau cercle vicieux: régime fort, répression, corruption, terrorisme, émigration, révolution, etc.

Si l’Europe veut que la Tunisie reste cette bonne école de la démocratisation et serve d’exemple à d’autres peuples arabes, il lui faut en urgence effacer sa dette et la transformer en projets de développement, alléger momentané­ment ses conditions d’accès au marché européen, se montrer intransigeante avec la corruption. Sinon, les coûts vont deve­nir de plus en plus prohibitifs et les bénéfices de plus en plus aléatoires, et ce, pour tous les protagonistes.

jeudi 29 août 2019

En Tunisie, l’arrestation d’un candidat controversé alourdit l’ambiance de la campagne présidentielle

Nabil Karoui, homme d’affaires et candidat à la présidentielle tunisienne, a été arrêté vendredi 23 août. Il fait l’objet d’une enquête judiciaire pour corruption, évasion fiscale et blanchiment d’argent. Le timing de son arrestation relance les interrogations sur l’intégrité du processus démocratique dans le pays.



Au coeur de la Tunisie


Dans le QG d’Au cœur de la Tunisie, le parti de Nabil Karoui, la tension était palpable vendredi 23 août au soir. Déplacements à la hâte de cartons, d’ordinateurs et de paperasse « pour sauver tout notre travail de campagne », souffle-t-on, mais aussi anticiper une éventuelle perquisition. Au milieu des restes de flyers en forme de tête de lion, le symbole du parti, les télévisions sont directement branchées sur la chaîne Nessma TV qui parle de « kidnapping » de Nabil Karoui.

L’homme de 56 ans, un magnat des médias tunisiens, n’est officiellement plus le patron de la chaîne depuis quatre ans, mais il demeure actionnaire. Il en est d’ailleurs resté son principal sujet d’information. « Nabil Karoui est avant tout un candidat à la présidentielle dont la candidature a été acceptée par l’Instance supérieure électorale pour les élections (ISIE) et c’est un acteur important de la vie politique tunisienne. Ce qu’il se passe est vraiment dangereux pour le processus démocratique », déclare à Mediapart Sadok Jabnoun, un membre de la commission politique de la formation de Nabil Karoui.

Alors que son équipe de communication venait de poster des stories sur Facebook au sujet de la visite de terrain effectuée le jour même par le candidat dans le gouvernorat de Béja (nord-ouest de la Tunisie), où il a rencontré des propriétaires d’usines locales et inauguré un siège de son parti, l’homme s’est fait arrêter, vendredi, à bord de sa voiture, au péage autoroutier de Medjez el-Bab, à une cinquantaine de kilomètres de Tunis.

Des mandats de dépôt ont été émis à l’encontre de l’homme d’affaires et de son frère Ghazi Karoui par le pôle judiciaire et financier le 23 août, juste après le rejet par la justice tunisienne de l’appel concernant leur interdiction de voyager. Les deux frères font l’objet d’une enquête judiciaire depuis que l’ONG I-Watch – affiliée à Transparency International – a déposé début juillet une plainte concernant des soupçons d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. Cette plainte est intervenue après une enquête publiée en 2016 sur l’évasion fiscale des frères Karoui.

« Nous avons toujours été entendus en tant que témoins depuis que la plainte a été déposée. Depuis qu’une instruction a été ouverte, c’est l’État versus Nabil Karoui. Il faut que la justice fasse son travail et qu’elle continue, quel que soit le timing. Nous devons séparer le processus électoral du processus judiciaire », affirme Achref Aouadi, président de I- Watch.

La veille de l’arrestation, Youssef Chahed, lui aussi candidat à la présidentielle, a passé provisoirement ses fonctions de chef du gouvernement à son ministre de la fonction publique, Kamel Morjane, ancien ministre de la défense sous Ben Ali. Il n’a pas voulu démissionner, car le « pays traverse une période délicate et n’est pas en mesure de supporter les négociations pour constituer une nouvelle équipe gouvernementale », a-t-il déclaré dans une allocution télévisée jeudi 22 août.

Il a choisi de passer ses fonctions pour désamorcer les critiques de ses détracteurs, qui lui reprochaient d’utiliser les ressources de l’État pour sa campagne électorale et pour « donner les mêmes chances à tous les candidats ». Mais pour les avocats de Nabil Karoui, même si Youssef Chahed n’est plus au pouvoir, son arrestation reste « politique ».

« La célérité avec laquelle la justice a procédé à l’arrestation de Nabil Karoui, loin de la capitale, trois heures seulement après l’émission du mandat de dépôt, tout cela représente pour nous un scandale judiciaire », déclare l’un des avocats de Nabil Karoui, Kamel Ben Messaoud.

Presque au même moment où Karoui était arrêté, Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de la République décédé le 25 juillet dernier, a été contrôlé à l’aéroport de Tunis Carthage, parce qu’il était, selon une source, en possession de devises étrangères. La coïncidence de ces deux événements, qui tous deux concernent des adversaires politiques de Youssef Chahed, a tendu l’atmosphère de la campagne. Mais le ministère de l’intérieur comme les douanes ont assuré qu’il s’agissait, dans les deux cas, de procédures légales et justifiées.

Sur Facebook en Tunisie, la polémique enflait, ce samedi, sur le calendrier de l’arrestation – trois ans après le dépôt de la plainte –, mais aussi sur le manque de communication et de transparence des autorités judiciaires concernant l’arrestation.

Nabil Karoui a été transféré à la prison de Mornaguia à Tunis, tandis que son frère serait en fuite d’après des médias tunisiens. Pour le candidat qui disait vouloir « lutter contre la pauvreté et la misère » à grands coups de slogans à l’emporte-pièce, et s’est fait connaître par des actions caritatives très médiatisées de sa fondation, relayées par sa propre chaîne de télé, la campagne risque de se faire derrière les barreaux d’une prison.

« Nous continuerons à travailler librement et à faire campagne », déclare Blel Fares, candidat aux législatives. L’ISIE a affirmé que son arrestation ne le disqualifiait pas de la course à la présidentielle. « Une candidature ne peut être retirée qu’en cas de retrait volontaire ou de décès », affirme la porte-parole de l’instance, Hasna Ben Slimane.

Cette arrestation intervient après un long combat de I-Watch. Cette ONG a souvent été la cible de Nabil Karoui et de ses proches, notamment à travers des campagnes de diffamation et de menaces.

« Lorsque nous avons lancé notre campagne anticorruption, nous avions dit que nous investirions notre énergie et nos ressources sur un exemple concret, celui des Karoui et de Nessma TV pour changer la mentalité des Tunisiens sur la corruption. Aujourd’hui, beaucoup oublient que nous avons aussi déposé des plaintes contre d’autres candidats à la présidentielle : Youssef Chahed pour corruption dans l’affaire du dégel des avoirs de Marouane Mabrouk par l’Union européenne, Slim Riahi pour évasion fiscale, et Hatem Boulabiar pour corruption. Donc la question après l’arrestation de Karoui est qui sera le prochain ? » ajoute Achref Aouadi.

mardi 25 juin 2019

Politique

Comment le premier ministre Youssef Chahed manipule le parlement avec la complicité du parti Ennada





Youssef Chahed
Youssef Chahed premier ministre et candidat s'associé au islamistes pour evincél les concurrents.


Attaque contre la démocratie, ou sauvetage du modèle tunisien ? À quelques mois des législatives et de la présidentielle, les députés tunisiens ont voté en urgence une révision de la loi électorale qui risque d'écarter des candidats indépendants.

« C’est comme si le Congrès américain, voyant Trump monter dans les sondages à l’approche de la présidentielle, ou le parlement et le Sénat français voyant l’ascension de l’extrême droite, votaient une série de lois pour les en empêcher. » Meriem Boujbel ne décolère pas. Députée sous la bannière Mashrou Tounes (Un projet pour la Tunisie), un groupe parlementaire qui rassemble une quinzaine de déçus du parti présidentiel Nidaa Tounes, elle a voté mardi 18 juin contre le projet de révision de la loi électorale tunisienne car, dit-elle, c’est « un terrible coup porté à notre jeune et fragile démocratie ».

Une trentaine de députés ont fait comme elle, une quinzaine s’abstenant, mais la majorité (128 députés) a approuvé une refonte qui divise la classe politique tunisienne déjà bien fracturée par les luttes de pouvoir. Et pour cause : en pleine effervescence pré-électorale, à quelques mois de deux scrutins majeurs – des législatives en novembre et une présidentielle en décembre – et à un mois des dépôts des listes pour les législatives, la coalition nationale, le bloc parlementaire qui soutient le chef du gouvernement Youssef Chahed, a mobilisé l’assemblée pour faire voter en urgence une série d’amendements modifiant la loi électorale.

Objectif affiché : moraliser la vie politique, « protéger l’exception démocratique » du monde arabe. Objectif caché, selon les détracteurs du projet : barrer la route aux adversaires indépendants, non issus du sérail politique, en tête dans les intentions de vote dans les sondages, avec un arsenal législatif taillé sur mesure pour les contrer et empêcher leur candidature.

« 190 députés sur 217, soit 90 % d’entre nous, étaient présents [issus principalement des deux grands blocs parlementaires, la coalition nationale pro- premier ministre Chahed et Ennahda, le parti islamiste soutien de Chahed, qui à eux deux ont la majorité au Parlement – ndlr], c’est extrêmement rare qu’il y ait autant de monde », s’étonne la députée Meriem Boujbel.

Quatre personnalités en particulier sont visées, quatre personnalités dont la cote grimpe auprès de la population tunisienne à l’heure où souffle un vent de dégagisme à travers le monde qui balaie les formations politiques traditionnelles. Trois d’entre elles devancent dans les derniers sondages (sondages qui restent à prendre avec des pincettes) le premier ministre Youssef Chahed qui n’a pas encore annoncé sa candidature mais qui a créé un parti Tahya Tounes (« vive la Tunisie ») en début d’année, voué à le porter au palais de Carthage, à incarner la famille moderniste et à affaiblir le parti présidentiel Nidaa Tounes dont il est issu.


Il s’agit du magnat Nabil Karoui en tête des sondages d’opinion, fondateur de la chaîne de télévision Nessma TV, qui compte parmi ses actionnaires (minoritaire) l’ancien président italien Silvio Berlusconi et arrose sous l’œil des caméras de sa chaîne la population de dons (comme, pendant le ramadan, des distributions de repas) ; d’Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), une nostalgique de l’ère Ben Ali qui a fait partie du comité central du RCD, le parti du dictateur déchu en 2011 ; et du constitutionnaliste Kaïs Saïed, partisan de la peine de mort. Autre potentielle rivale qui inquiète les partis en place : Olfa Terras Rambourg qui s'est fait connaître par le mécénat culturel et sportif de la fondation Rambourg et de son mouvement Aich Tounsi, et à qui l’on prête des ambitions politiques.

Ces quatre figures, estampillées « populistes » par une partie de la classe politique tunisienne qui les accuse de battre campagne hors des règles imposées aux partis, notamment financières, et de déséquilibrer ainsi le jeu démocratique, se voient couper les ailes par la nouvelle loi électorale à effet rétroactif. Celle- ci acte notamment la séparation entre l’activité politique et l’activité associative et caritative, exclut la candidature de quiconque fait l'apologie de la dictature, de l’ancien régime, tient un discours contraire à la démocratie et aux principes de la constitution, aux valeurs universelles des droits humains.

Un des amendements exige que les candidats aient respecté individuellement, durant les 12 mois précédant le scrutin, les mêmes obligations que les partis : pas de fonds étrangers, ni de dons de sociétés, pas de distribution d'aide (en numéraire ou en nature), ni de publicité politique. Dans une précédente version du texte ayant circulé avant le vote, était même écarté de la course tout candidat « dirigeant une association ou un média ».

« C’est clairement taillé sur mesure pour ces quatre personnalités. Le projet est tombé pile après le dernier sondage d’opinion qui les donnait en tête Nabil Karoui », constate la députée Meriem Boujbel. Elle est la seule dans son groupe à avoir voté contre. Dès février, elle s’était positionnée contre cette révision : « C’est un positionnement de principe, explique-t-elle. Je ne suis pas en désaccord sur le fond. Il y a en effet beaucoup à faire sur la moralisation de la vie politique mais le timing est très mauvais. Cela crée un précédent grave. On ne peut pas faire des lois, des amendements sur mesure pour des personnes précises parce qu’elles apparaissent en bonne position dans les sondages à quelques mois d’un scrutin crucial. Cela torpille la crédibilité des élections et du processus électoral. »

Son espoir ? Que le projet soit retoqué pour inconstitutionnalité. Un recours, porté par plusieurs députés, est en préparation. « Et il peut aboutir », veut croire Meriem Boujbel qui dénonce « un passage en force » : « Même les règles du Parlement n’ont pas été respectées. On a reçu les amendements le jour même en séance tenante alors que normalement, on les reçoit bien en amont, qu’on les discute en commission, en groupes parlementaires et lors de réunions de consensus. » Elle prévient aussi que l’instance supérieure indépendante des élections (ISIE) n’a « pas les moyens matériels et humains pour assurer des élections à temps avec ces nouvelles prérogatives ».

Quant à l’argument des partisans du projet arguant de la nécessité de protéger la démocratie balbutiante, elle le balaie d’un revers de main : « Avant de protéger la démocratie, ils veulent se protéger, protéger leur parti et leur personne. Je préfère encore avoir des mafieux au pouvoir pour les cinq prochaines années si c’est le choix du peuple, plutôt que de valider des méthodes pareilles, anti- démocratiques. »

« L’impact de cette révision va être terrible sur les élections et leur crédibilité »

La députée Lamia Dridi, dissidente de Nidaa Tounes qui a rejoint la coalition nationale, le groupe parlementaire pro- Chahed, justifie comme beaucoup cette révision comme une « nécessité pour protéger notre démocratie fragilisée ». « Nous étions dans l’obligation de prendre des dispositions pour fixer les bonnes pratiques. On ne peut pas rester les bras croisés et laisser la scène politique à des bandits qui occupent les plateaux télévisés dont ils sont propriétaires. »

Elle comprend que cette révision à quelques semaines d’un double scrutin déterminant choque mais elle ne regrette pas le calendrier : « On est en pleine transition, donc en construction d’une démocratie, on ne pouvait plus se taire et reculer devant ces pratiques. »

Un point de vue partagé par un député de l’opposition qui tient à garder l’anonymat tant le sujet reste explosif et qui s’est abstenu lors du vote : « Je n’ai pas voté pour car le timing me dérange, confie-t-il. On a attendu les mauvaises pratiques pour légiférer enfin et en pleine période pré- électorale ! Il ne fallait pas laisser faire et attendre pour les condamner, c’est normal du coup qu’il y ait cette polémique. Mais sur le fond, je suis d’accord avec cette loi. C’est un mécanisme pour que tout le monde respecte la loi. »

Il est étonné de voir les réactions internationales, notamment en France où des élus parlementaires se sont alarmés à l’instar du président du parti de centre droit de l’UDI Jean-Christophe Lagarde ou encore du député des Français de l’étranger de la 9eme circonscription, M’jid El Guerrab (ex-LREM, parti d’Emmanuel Macron), qui a déposé une question écrite à l’adresse du ministre français des affaires étrangères. Ce dernier a répondu aux journalistes qu’il ne se prononcerait pas sur « ce vote souverain » de son « pays ami et partenaire privilégié », renouvelant « sa confiance dans le peuple et les institutions tunisiennes » et saluant « la vitalité démocratique tunisienne dont les élections générales de l’automne constitueront un temps fort ».

« C’est bien de nous critiquer mais aucun ne met en cause ni l’accent sur les pratiques immorales de ces candidats s’agace le député tunisien. Certes, ce n’est pas moral de faire cela la veille des élections mais la violation des valeurs, de l’éthique de ces personnes est grave. On ne sait pas d’où vient leur argent, peut etre ils ne sont pas en règle avec le fisc. » Et d’ajouter : « Les gens oublient que ce n’est pas seulement la majorité présidentielle qui a validé ce texte. Des députés de l’opposition, connus pour leur engagement contre la corruption, ont voté par calcul politique pour ce texte comme le parti de Mohamed Abbou, le Courant démocratique . »

Dans une lettre adressée aux députés, Nabil Karoui a dénoncé une « tentative de coup d’État politique » ayant pour « seul but de l’empêcher de se présenter » : « Je ne renoncerai ni à mon engagement auprès des plus démunis ni à mon droit constitutionnel et encore moins à mon devoir moral de me porter candidat », a- t-il martelé.

À l’image de l'ancien président de la commission électorale, Chafik Sarsar, ou du premier syndicat tunisien l’UGTT, divers acteurs et observateurs font part de leurs inquiétudes ces dernières semaines. Ils sont partisans d'une réforme qui aurait dû être conduite il y a bien longtemps mais pas maintenant.

« L’impact de cette révision va être terrible sur les élections et leur crédibilité d’autant que le gouvernement qui a proposé ces amendements est partie prenante de ces futures échéances et que son chef vient de créer un parti politique qui va présenter des listes aux législatives et lui servir de tremplin à la présidentielle et qu’il est le chef de ce parti », déplore Selim Kherrat de l'observatoire de la vie parlementaire, Al Bawsala (la Boussole), une association qui surveille la fabrique des lois depuis 2012.

Pour lui, il y a comme une panique des partis traditionnels à quelques mois de l’échéance électorale qui craignent un vote sanction au profit de ces candidats hors circuit : « Karoui, Moussi, Saïed et Terras Rambourg bénéficient d’une forme de colère, d’un rejet de la figure politique, les mêmes dynamiques qu’à l’international. Tous tiennent des discours populistes, stigmatisants. Karoui bénéficie d’une visibilité médiatique, sa chaîne est dans le top 3. Il a aidé les populations défavorisées à travers le pays dans des zones oubliées où on ne voit pas d’élus, comme Terras Rambourg. Elle a mobilisé avec son association 3ich Tounsi, beaucoup de moyens qui lui ont permis de sonder 400 000 Tunisiens et de pondre un programme en douze points simpliste qui dit “on va emprisonner tout cadre de l’administration corrompu”. Moussi, elle, monopolise le segment anti- islamiste, promet de remettre en prison les islamistes, ce qui séduit encore une partie de la population. »

Si la nouvelle loi peut être retoquée par le Conseil constitutionnel, elle peut aussi l’être par le président nonagénaire Beji Caïd Essebsi. « Même si les chances qu’il le fasse sont infimes, ce serait une porte de sortie par le haut pour lui avance Selim Kherrat.  Il apparaîtrait comme le sauveur de la démocratie, récompenserait son copain Karoui pour ses bons et loyaux services, car cet homme d’affaires ne l’a jamais lâché et a contribué à son élection en 2014 avec sa chaîne télé et il se vengerait contre son poulain Chahed qui l’a trahi lui et le parti Nida Tounes qu'il a fondé. »







jeudi 2 mai 2019

Les Califes maudits

L’universitaire Hela Ouardi raconte la véritable histoire des premiers califes en s’appuyant sur les textes de la tradition musulmane.





Les Califes maudits



Muhammad, le prophète de l’islam, est mort. Pendant trois jours, sa dépouille, sans sépulture, a été abandonnée à la putréfaction. Des croyants, frappés d’incrédulité, croyaient pourtant à sa résurrection. Mais force est de constater qu’il est vraiment mort : que va-t- il advenir de la religion qu’il a prêchée ?

Le Prophète n’avait pas préparé sa succession. Ses plus proches, non sans arrière pensées, l’en avaient d’ailleurs empêché... Le dernier livre de Hela Ouardi, professeure de littérature et de civilisation française à l’université de Tunis et chercheuse associée du laboratoire d’études sur les monothéismes du CNRS, est la suite des Derniers Jours de Muhammad, qui avait fait grand bruit. Ce nouvel opus ouvre un cycle intitulé Les Califes maudits, qui reconstitue les règnes des quatre successeurs du Prophète, ses anciens compagnons, liés à lui par des liens matrimoniaux : Abû Bakr (632- 634), ‘Umar (634-644), ‘Uthman (644-656) et ‘Alî (656-661).

Si le premier est sans doute mort de maladie, les trois autres ont été sauvagement assassinés par des musulmans. C’est donc la naissance dramatique du premier califat de l’islam que raconte l’universitaire à la manière d’une pièce de Shakespeare. Si elle restitue aux protagonistes leur simple humanité, cette déconstruction astucieuse rompt de facto avec la légende dorée des quatre califes « bien gui- dés».

Dès l’origine, en effet, l’islam est divisé. Deux groupes s’affrontent pour la possession du pouvoir. D’un côté, les Émigrants conduits par Abû Bakr et ‘Umar, beaux-pères du Prophète, qui ont quitté La Mecque dix ans plus tôt pour migrer à Médine avec Muhammad. De l’autre, les Ansârs (les auxiliaires du Prophète), membres des tribus des Aws et des Khazraj. Un conclave a lieu à la sqîfa (tonnelle) où explosent rivalités, haines, marchandages, manœuvres, pressions, injures et coups de poing. Ces hommes se disputent la succession de Muhammad comme ils se disputaient hier un butin de guerre. Le larmoyant Abû Bakr finit par l’emporter mais la contestation reste vive. Sans sa détermination, pourtant, tout aurait pu dégénérer. Cette violence entre proches, il la canalisera et l’exportera en guerre contre les mécréants et apostats. Mais cette déchirure originelle, refoulée, éclatera vingt- quatre années plus tard dans un affrontement qui divisera de façon irrémédiable les musulmans entre sunnites et chiites.

Exploration philologique

La famille du Prophète est écartée. Fâtima, sa fille chérie, se rebelle. Elle ne veut pas être dépouillée de l’héritage, notamment de l’oasis de Fadak, que le premier calife s’approprie pour financer l’effort de guerre. Fâtima le maudit mais, malade et meurtrie, elle ne survit à son père que quelques semaines.

Ce livre n’est pas une fiction même si la forme du récit pourrait faire croire à un roman historique où l’imagination ou la fantaisie s’emparent des interstices ou des vides laissés par l’Histoire. Non, rien n’est inventé car l’historienne se livre à une exploration philologique des sources de la tradition musulmane sunnite et chiite et à une mise en forme qui rassemble les récits atomisés de la Tradition.

Comme les morceaux éparpillés d’un puzzle, tous les détails, faits et dialogues, jusqu’aux traits physiques ou de caractère, sont tirés de la littérature musulmane traditionnelle et canonique: Hadîth, Tabaqât, exégèses, chroniques, etc. Ces textes pieusement vénérés, de façon étonnante, ne sont curieusement jamais consul- tés ou presque. Cet ouvrage les éclaire sous un jour nouveau. Louons Hela Ouardi, grande connaisseuse de Queneau, d’oser arpenter de son gai savoir une montagne sacrée et redoutée, celle de la lecture critique des textes de l’islam, dans le lourd contexte que l’on connaît.



Les Califes maudits







dimanche 31 mars 2019

Des vehicules neufs dans un pays en crise pour un sommet arabe

Béji Caïd Essebsi s'offre des 4x4 GMC pour le Sommet arabe


Dans le cadre du sommet arabe ou tous les dictateurs et hommes politiques seront présent et dans un cadre de crise financière du pays, le président Beji sait offert sur le budget de la présidence une flotte de 34 véhicules américains tout neufs pour la somme de 3 millions et demi de dinars. Les contribuables peuvent dire merci. 















samedi 30 mars 2019

Séquestration d'un diplomate de l'ONU en Tunisie

Trafic d'armes en Tunisie




Justice tunisienne
Un diplomate de l'ONU dors en prison sur ordre du procureur du tribunal de Tunis



Cela se passe comme dans les films d'espionnage, sauf qu’ici nous sommes en présence d'abrutis et de singes qui gouverne encore a l'ancienne un pays qui a fait une révolution de printemps sur le papier en 2011 et qui s'y prend mal pour régler cette histoire.

Notre enquêteur de l’ONU s’appelle Moncef Kortas c’est un haut fonctionnaire issu de l'organisation internationale ONU, qui est donc un diplomate avec une immunité qui le protège dans le cadre de son activité professionnelle pour le compte de l'ONU partout ou il est en mission. Mais voilà, ce fonctionnaire se trouve être un ressortissant tunisien et allemand.

La justice tunisienne pense qu'elle est au des lois vu que le diplomate a la nationalité tunisienne et que l'état tunisien qui a signé les des conventions de vienne pour l'immunité diplomatique ne lui concerne pas.

De passage en Tunisie pour aller en Libye ce 26 mars, l'état tunisien a envoyé huit agents, plus quatre chauffeurs a sa rencontre à l’aéroport sur le parking pour le mettre en état d'arrestation sur ordre du procureur de la République de Tunis. Le motif: espionnage, écoute, matériel d'espionnage, suspicion d’intelligence avec des parties extérieures et touti quanti ....

Le plus beau dans l'histoire c'est que sait pas n'importe qui est saisis de l'affaire, c'est Béchir Akremi. Celui ci est un procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis, c'est une marionnette du parti islamiste Ennahda au pouvoir au sein du gouvernement. À chaque fois que celui-ci est saisi, il agit soit pour noyer le poisson ou bien pour agir en radio commandée pour les islamistes d'Ennahda en sous-main; donc un homme de paille pour faire taire ceux qui parle de trop.

Dans ce type d’affaires, la justice utilise l’article 13 du code de procédure pénale tunisien qui permet au procureur ou au juge d’instruction de retarder l’accès à un avocat de 48 heures à compter du début de la détention en plaçant le diplomate en prison pour qu'il n'ait pas droit à un avocat.

La loi donne également au procureur le droit de retarder l’accès à un avocat pendant les 48 premières heures de détention pour les affaires de terrorisme et d'espionnage. Dans ce qui constitue un abus manifeste des droits d’un détenu, le procureur semble invoquer systématiquement cette disposition dans ce type de dossier. Et si le détenu n'a pas d'avocat, il n'a qu'à se débrouiller ou attendre des semaines après une démarche bureaucratique hypothétique pour qu'un avocat lui soit commis d'office.

Pour ce qui est des faits invoqués dans les médias, tous les agents et journaliste d'influence sont mis a contribution dans les rédactions tunisienne,  la presse, radio, web, sont mis a contribution pour soutenir les thèses et la propagande du pouvoir judiciaire, à commencer par le porte-parole du ministère de l'Intérieur :  à travers la porte-parole la justice qui est aux ordres du pouvoir politique, elle affirme que le procureur reproche au diplomate de ne pas les avoirs (ONU) prévenus du passage du diplomate sur le territoire tunisien, de ne pas etre porteur du passeport diplomatique au moment du franchir la frontière de l'aéroport et d'espionnage. Comprenne qui pourra...


Mais au fait que fessait le diplomate à Tunis ? Arrêté le 26 mars 2019 en fin d'après-midi, le diplomate enquêtait sur le trafic d'armes en Tunisie depuis 3 ans. Le pays servait de transit avec des hommes de pailles de l'appareil militaire et politique du partis Ennahda. Ce qu'il a découvert fait trembler les responsables politiques du parti au pouvoir CPR et Ènnahda de l'époque. Car comme dans tout trafic d'armes il suffit de suivre la piste de l'argent sale dans le sud et dans la capitale tunisienne pour comprendre que tout le monde a bénéficié du droit de passage et autre commission dans le trafic d'armes à travers la Tunisie.

En plus de cela l'enquêteur Moncef Kartas récoltait des sources d'information dans la place qui donnait des noms de politiciens aux commandes du pays, sur le role de l'armée tunisienne au frontiere etc ... . Ajouté a cela le nom de la Turquie et le Qatar qui sont des alliers proches du parti islamiste au pourvoir Ennahda et avec cela un sommet arabe qui arrive dans 3 jours, vous aurez droit a une panique a bord en cas de révélation lors du somment de la ligue arabe.  Et comme tout le monde se tient par la moustache et que les élections approchent, faudrait pas qu'un tonnerre n'arrive à éveiller les esprits parmis la population avec les elections au pays.


Alors pour neutralisé le diplomate qui a eu le malheur de mettre sont nez dans les histoires du trafic d'armes, certain ont décidé en haut lieux de le mettre hors d'état de nuire et de saisir tous les documents qui se rapporte a l'affaire pour découvrir qui dit quoi et fait quoi dans le dossier. Et tant pis pour la valise diplomatique.

Dans tous les cas, l'état tunisien ment et joue double jeu face a l'ONU en instrumentalisant une justice qui na que de noms. Même l'ancien dictateur Ben Ali n'aurait jamais osé mettre en prison un diplomate étranger, mais apparemment les islamistes et leurs associés eux n'ont apparemment pas peur.

Ni le monde politique et aucun ministre du gouvernement et ni le conseil supérieur de la magistrature ne lève le doigt ne s'est exprimé jusque aujourd'hui sur cette injustice qui continue. Pour couronné le tout, l'état tunisien et ça justice corrompue qui ne respecte meme pas le droit et les convention que le pays a singer qui reconnait l'immunité dont jouis l'enqueteur Moncef Kartas, nous parles de matériel d'espionnage et d'écoute. Comme on a l'habitude chez nous de comprendre les grandes manoeuvres des petits esprits enchantés, tout système de communication ou de téléphone crypté de communication est un système d'espionnage pour le monde judiciaires et le ministère de l’Intérieur. Les experts en mission pour les Nations Unies, comme Monsieur Kartas, sont couverts par la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies.


Pression sur l'avocat 

Ils existe au sein du ministere de l'interieur un groupe de policier qui utilise les memes methode de l'epoque du dictateur Ben ali, la pression sur les citoyens tunisien. L’avocat Hassen Ghodhbani a annoncé, ce jeudi 18 avril 2019, qu’il renonçait à défendre l’expert onusien, Moncef Kartas devant le pôle antiterroriste . Cette décision résulte selon l’avocat aux pressions et ingérences qu’exercent sur lui certaines parties pour tenter de l'influencer et de le contrôler dont le but est de na offrir une prestation a l'accusé. De plus toute les communications electronique, orale, courier postale sont surveillé par le ministere de l'interieur dont le but est de connaitre les moindres geste de l'avocat avec sont client et l'ONU.

Qu dit la section 22 de l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies auquel la Tunisie a adhéré:
’Les experts lorsqu'ils accomplissent des missions pour l'Organisation des Nations Unies jouissent, pendant la durée de cette mission, y compris le temps du voyage, des privilèges et immunités nécessaires pour exercer leurs fonctions en toute indépendance. Ils jouissent en particulier des privilèges et immunités suivants : immunité d'arrestation personnelle ou de détention et de saisie de leurs bagages personnels ; immunité de toute juridiction en ce qui concerne les actes accomplis par eux au cours de leurs missions (y compris leurs paroles et écrits). Cette immunité continuera à leur être accordée même après que ces personnes auront cessé de remplir des missions pour l'Organisation des Nations Unies ; inviolabilité de tous papiers et documents...’’

lundi 7 janvier 2019

A Tunis, la justice transitionnelle en fin de course

IVD TUNISIE
Les dossiers de l'IVD

L’instance chargée de faire la lumière sur les dérives du régime Ben Ali a rencontré de multiples difficultés


Rached Jaïdane claudique toujours, fichu stigmate. Des ligaments de la cheville broyés à force de « poulet rôti », cette position du corps suspendu à une barre pieds et poings ligotés, cela laisse des traces, des douleurs, même un quart de siècle après. Rached Jaïdane, quinquagénaire au bouc poivre et sel, n’aime pas trop ressasser ces souvenirs de torture dans les geôles de l’ex-dictateur Ben Ali, où il perdit bien plus que treize ans de sa vie de 1993 à 2006. La pudeur l’inhibe pour évoquer l’ampleur des outrages.

Et s’il y consent, c’est pour interroger : « Pourquoi cette atrocité, cette sauvagerie ? » Et aussi pour revendiquer une simple aspiration à la justice : « Je veux juste comprendre qui a donné l’ordre, re- monter au sommet de l’échelle des responsabilités. » Alors que le mandat de l’Instance vérité et dignité (IVD), réplique tunisienne de la Commission vérité et réconciliation sud-africaine, expire lundi 31 décembre après quatre ans et demi d’existence, le cas de Rached Jaïdane est l’une des affaires emblématiques de la justice transitionnelle en Tunisie. Ces six derniers mois, une cinquantaine de dossiers du même type, mettant en cause des violations des droits de l’homme – avant ou pendant la révolution de 2011 –, ont été trans- mis à des chambres spécialisées. Une vingtaine d’audiences ont déjà eu lieu à Tunis, Nabeul, Gabès, Sidi-Bouzid, Gafsa...

Est-ce la fin de l’enlisement de ces dernières années ? La brusque activation, avant la date fatidique du 31 décembre, du volet pénal de la « reddition des comptes », une des missions de l’IVD, fait naître autant d’espoirs chez les victimes que de craintes chez les bourreaux. Sept ans après la chute de la dictature, et alors que les forces de l’ancien régime tirent parti de la confusion entourant la « transition démocratique » pour se réveiller, un sentiment d’urgence s’est emparé des cercles militant. A leurs yeux, il n’était que temps d’en finir avec l’impunité dont les acteurs de l’ex-dictature avaient jusqu’alors bénéficié et à laquelle la rupture de 2011 n’avait pas changé grand-chose. «Seule la jus- tice transitionnelle peut stabiliser la Tunisie, insiste Rached Jaïdane. Si le processus est torpillé, cela peut casser le pays. »

L’ancien prisonnier politique a retrouvé un début de confiance. Le 6 décembre, il a pu apercevoir ses tortionnaires, dissimulés pourtant derrière un paravent, lors d’une audience au tribunal de première instance de Tunis. « J’en ai ressenti une fierté, admet-il après coup. Mais je ne leur souhaite pas le cachot, je veux qu’ils disent la vérité. » Ironie du sort : c’est dans cette même salle qu’il avait lui- même été condamné en 1996 à 26 ans de prison pour « complot contre la sûreté de l’Etat ». Rached Jaïdane avait été arrêté trois ans plus tôt à Tunis alors que, étudiant en mathématiques à Paris, il était revenu au pays assister au mariage de sa sœur. Ses liens avec le parti islamiste Ennahda lui avaient alors valu d’être accusé de tremper dans une conspiration contre le régime de Ben Ali.

Procès « inéquitables »


Dès le 1er janvier, l’IVD ne pourra plus adresser à la justice des dossiers comme celui de Rached Jaïdane. En attendant la date butoir, les transferts s’accélèrent. A la tête de l’IVD, Sihem Bensedrine, ex-opposante à la dictature, an- nonce notamment « un gros procès contre Ben Ali ». L’autocrate déchu, exilé en Arabie saoudite, a déjà fait l’objet depuis 2011 d’une douzaine de condamnations par contumace, mais Mme Bensedrine estime que nombre de ces procès étaient « inéquitables ». « Le dossier que nous allons transmettre est bien mieux instruit, précise Mme Bensedrine. Il est fondé sur des preuves irréfutables établissant des pratiques d’abus de pouvoir, d’escroquerie et de blanchiment d’ar- gent. » « Ce futur procès effacera l’image que certains véhiculent, celle d’un “type bien” dévoyé par sa belle-famille [les Trabelsi], pour- suit-elle. En fait, c’était bien lui le corrompu. C’est lui qui a pillé et pris en otage l’Etat tunisien. »

Mise en place en 2014, l’IVD est l’un des principaux acquis de la transition démocratique tunisienne. Son mandat est de solder les comptes de la dictature, à l’instar des commissions créées dans d’autres pays s’arrachant à la nuit autoritaire. La loi lui a confié la mission de « révéler la vérité » sur les violations des droits humains et les malversations financières commises pendant la période 1955-2013, d’exiger de leurs auteurs qu’ils « rendent des comptes », de « dédommager » les victimes (55 000 dossiers ont été retenus, dont 10 000 cas de tortures) afin d’aboutir à la « réconciliation nationale », d’« archiver la mémoire collective » et de proposer des réformes garantissant que ces violations « ne se reproduisent pas ». « Il s’agit de rétablir la con- fiance des citoyens dans l’Etat », résume Mme Bensedrine.

De fait, le rôle assigné à l’IVD était éminemment politique, enflammant les polémiques. Dès sa naissance, l’instance s’est trouvée confrontée à l’hostilité du président de la République Béji Caïd Essebsi, dont le parti qu’il a fondé, Nidaa Tounès, a recyclé de nombreuses figures de l’ancien régime. Liés à ces réseaux, la majorité des médias tunisiens ont mené une virulente campagne contre l’IVD, focalisant notamment leurs attaques sur Mme Bensedrine, dépeinte comme une « revancharde » liée à Ennahda.

Nombreuses obstructions


Dans ce contexte hostile, des pans entiers de l’appareil d’Etat ont boycotté le processus de justice transitionnelle. En juin, un syndicat de policiers a même appelé ses membres à « ne pas répondre aux convo- cations émises par l’IVD ». Résultat : nombre de policiers cités à comparaître aux procès récents ne se sont pas déplacés. De même, la moitié des magistrats formés pour siéger dans ces chambres spécialisées ont été subitement nommés à l’automne à de nouvelles fonctions, ruinant une bonne partie du travail préparatoire à l’actuelle séquence judiciaire. Ainsi la réédition des comptes de la dictature est-elle encore loin d’être acquise. 

Avec la disparition imminente de l’IVD, il revient désormais au gouvernement de permettre que la justice transitionnelle poursuive son cours. Ce dernier dispose d’un an pour mettre en œuvre les recommandations contenues dans le rapport final de l’IVD, en passe d’être publié. Au vu des obstructions déjà à l’œuvre, l’affaire s’annonce laborieuse. « La transition démocratique ne doit pas être réduite à un argument de marketing pour vendre l’image de la Tunisie à l’étranger », avertit Sa- lwa El-Gantri, directrice du bureau tunisien d’International Center for Transitional Justice.

Sur la scène internationale, l’image d’un président Essebsi promouvant l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage tend désormais à prévaloir sur celle d’un héritier de l’ancien régime entravant la justice transitionnelle. « Il ne faudrait pas que les réformes sociétales soient la seule mesure de l’état d’avance- ment de la transition démocratique en oubliant le démantèlement du système dictatorial », alerte Antonio Manganella, le directeur du bureau de Tunis d’Avocats sans frontières. Houcine Bouchiba, pré- sident d’Al-Karama, une association de victimes, s’en inquiète sans détour : « Il serait un danger pour tout le monde que les victimes de la dictature prennent la justice entre leurs propres mains. »

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