samedi 29 septembre 2018

L’art du divorce à la tunisienne

Est-ce l’estocade portée à l’« exception tunisienne » ? Le chef de l’Etat tunisien, Béji Caïd Essebsi, a annoncé, lundi 24 septembre, sa « séparation » d’avec Ennahda, le parti issu de la matrice islamiste, avec lequel il avait scellé une alliance en 2015. L’événement est significatif. La coalition gouvernementale forgée entre Nidaa Tounès, le parti « moderniste » d’inspiration bourguibienne fondé par le chef de l’Etat, et Ennahda, engagé dans une révision pragmatique de sa relation à l’islam politique, avait stabilisé un paysage tunisien vacillant après la révolution de 2011. 

La Tunisie avait alors été célébrée à l’étranger comme un modèle de consensus, une vitrine emblématique de cette culture du dialogue qui a sauvé le pays des naufrages post-« printemps arabes ». Un prix Nobel de la paix l’avait même couronnée en 2015. 

Avec l’annonce du chef de l’Etat, dépité par sa relation de plus en plus crispée avec Rached Ghanouchi, le patron d’Ennahda, une ère se clôt. La Tunisie va cesser de vivre à l’ombre de la connivence personnelle entre les « deux cheikhs », comme les appellent les Tunisiens. Leur complicité avait entraîné dans son sillage une coopération fonctionnelle, sinon enthousiaste, entre leurs formations. Le tandem a vécu.

Pour autant, la Tunisie n’est pas propulsée au bord de l’abîme. Car la « séparation » annoncée par M. Essebsi relève d’un divorce personnel plus que d’une fracture politique. Elle ne prélude pas à la rupture de l’alliance entre les familles moderniste et islamo-conservatrice. Car le parti présidentiel Nidaa Tounès, plongé dans une crise interne, est en train d’imploser. Sur ses bases historiques émerge une force en plein essor, centrée autour de Youssef Chahed, le jeune chef de gouvernement (43 ans), lui-même issu de Nidaa Tounès. Tout indique que la relation de travail entre ce dernier et Ennahda, déjà bien établie au sein d’un gouvernement de coalition, se poursuivra. L’impact de l’annonce du chef de l’Etat sera donc limité.

En fait, la véritable bataille en cours est celle qui secoue les équilibres internes au camp du chef de l’Etat. Entre M. Essebsi et M. Chahed, rien ne va plus. Là est le vrai divorce. Le président tunisien n’a guère goûté la résistance que lui a opposée son ancien protégé, dont il avait parrainé la nomination il y a deux ans. Dans cette épreuve de force, M. Chahed peut d’ores et déjà compter sur une quarantaine de députés, soit une force équivalente à celle de ses rivaux de Nidaa Tounès. Elle comprend surtout des dissidents ayant quitté le parti après la conquête de sa direction, en 2016, par Hafedh Caïd Essebsi, le fils du chef de l’Etat. Au-delà de ses propres troupes, l’atout de M. Chahed, ce sont surtout les bonnes dispositions d’Ennahda à son égard, qui dispose du premier groupe parlementaire, avec 69 députés.

A son insu, le parti islamo-conservateur se trouve ainsi propulsé au rang paradoxal d’arbitre de la crise interne de Nidaa Tounès. Au nom de la « stabilité politique » de la Tunisie, le parti de M. Ghanouchi s’était jusqu’alors opposé au départ de M. Chahed que réclamait la direction de Nidaa Tounès avec l’aval discret du chef de l’Etat. Depuis sa victoire aux élections municipales du printemps, qui l’a consacré premier parti en Tunisie, Ennahda redonne de la voix. Il tient désormais ouvertement tête au président de la République, une résistance nouvelle qui contraste avec la loyauté, confinant parfois au suivisme, manifestée ces trois dernières années.

LA FRAGMENTATION DE NIDAA TOUNÈS

C’est que la fragmentation de Nidaa Tounès a mécaniquement conduit Ennahda à revoir sa relation avec M. Essebsi. Au sein du parti islamiste, qui se définit désormais comme « démocrate musulman », la tentation est vive de changer de pied et de sceller une alliance avec M. Chahed, alternative potentielle au clan Essebsi au sein de la même famille « moderniste ». Le scénario n’est pas encore clair. Mais Ennahda tient à l’évidence à continuer à coopérer avec une formation issue de la lignée « destourienne», ainsi que l’on nomme la filiation bourguibienne. Quel qu’en soit le porte-drapeau.

C’est pourquoi le fameux consensus tunisien n’est pas à ce stade menacé. Il est sans nul doute sous pression, principalement en raison de la guerre fratricide à Nidaa Tounès, où l’idéologie tient moins de place que le choc des ambitions personnelles. Le tournant a été la conquête, au début de 2016, de l’appareil de Nidaa Tounès par Hafedh Caïd Essebsi, qui a réveillé le syndrome d’une succession « dynastique » que la plupart des Tunisiens pensaient appartenir à un passé révolu.

Contrairement à son prédécesseur, Habib Essid (janvier 2015-août 2016), qui avait fini par jeter l’éponge, M. Chahed a résisté jusqu’ici aux tentatives d’immixion dans les affaires gouvernementales émanant de l’équipe de Hafedh Caïd Essebsi à la tête de Nidaa Tounès. Mieux, il a déclenché, au printemps 2017, une campagne anticorruption qui lui a valu une certaine popularité et a approfondi le schisme avec le fils du chef de l’Etat et, de proche en proche, avec le père lui-même, le mentor qui s’est senti trahi.

Au fil des mois, il est devenu évident aux yeux des observateurs que M. Chahed nourrissait désormais les plus hautes ambitions dans la perspective du double scrutin – législatif et présidentiel – de la fin 2019. Ses rivaux feront flèche de tout bois pour le contrer. C’est que M. Chahed n’est plus perçu comme le « chevalier blanc » autant qu’il a pu l’être au début de son offensive anti- corruption. Le doute commence à s’instiller sur l’instrumentalisation de cette dernière au service de ses ambitions personnelles. Les couteaux sont tirés au sein de la « famille moderniste ». La transition tunisienne en est secouée, pas forcément déstabilisée.

lundi 20 août 2018

Magouille entre flic et politique

L'ancien garde du corps de Ben Ali devenu consul général



Sami Sik Salem
Comment un garde du corp de Ben ali est devenu consul general en Tunisie et a l'etranger !


Voilà une drôle d'histoire qui peut faire rire les pays étrangers et faire pleurer les Tunisiens. Ils s'appellent Sami Sik Salem, sont nom vous dit peut être rien mas c'est l'ancien garde du corps du président en fuite le dictateur Ben ali. Ils ont su jouer les intrigues dans l'épisode de la fuite du dictateur Ben ali, puis il a joué les intrigues après la révolution sous le mandat de Moncef Marzouki et de Beji Caied Essebsi.

Ensuite l'histoire va très vite pour celui-ci, il est nommé diplomate à l'Ambassade de Lyon en France, et oui rien que ça. Oui un garde du corps de l'époque de Ben ali qui devient ambassadeur comme dans les républiques bananières du jour au lendemain grace aux copinages et a la corruption du nouveau président de la République Beji Caïed Essebsi.

Celui-ci vient de le nommer dans un poste créé de toute pièce pour lui, Sami Sik Salem est devenu consul général. Un consul sans affectation particulière vu que l'intéressé n’a aucune qualification et aucun diplôme universitaire. Mais par ce que celui-ci est vivant et en bonne santé et qu'ils sert certain parti au palais présidentiel notre cher vieux président de la République qui fêtera c'est 94 ans bientôt cette année na pas trouver mieux de lui créer une fonction virtuelle pour touché un salaire des plus confortable de 3500 euros par mois sans rien faire. Le tout avec la complicité et l'accord du ministère des Affaires étrangères de notre époque. C'est un président auquel ont ne peut rien refusé aux ministères des Affaires étrangères. Et pour ceux qui croient que la Tunisie a une politique étrangère digne des pays démocratiques avec une ligne directrice, ceux-ci peuvent se rhabiller. Les nominations et les postes se font et défont a la tête du client et pour ceux qui aspire a être diplomate aux ministères des Affaires étrangères peuvent resté assis sur leurs chaises s'ils n'ont pas les bonnes cartes en mains pour servir leurs comptes en banque !

Fil conducteur 


Acte 1: Le colonel-major et l’ancien directeur général de la garde présidentielle Sami Sik Salem vient de charger l’avocat Imed Ben Hlima pour intenter une procédure judiciaire contre les deux généraux Rachid Ammar et Faouzi Aloui pour enlèvement et séquestration d’une personne en dehors de toute procédure.

D’après le journal électronique Akher Khabar Online, l’affaire remonte au 19 janvier 2011 (du temps de la révolution du jasmin). D’après la même source, Sami Sik Salem a mentionné dans le procès verbal qu’il a été victime d’une opération de kidnapping de la part de Rachid Ammar (celui qui se fait passé pour un heros aupres des medias) et de Faouzi Aloui. Il a ajouté qu’il a été séquestré ‘gratuitement’ pendant 16 jours à la caserne militaire de l’Aouina et qu’il a été agressé physiquement.

Voici les faits dans les détails : le 18 janvier, alors que Dabbabi, ancien de la Sûreté du ministère de l’Intérieur et proche du Général Ammar est fraichement nommé à la place de Sariati à la tête de la Direction Générale de la Sûreté du Chef de l’Etat, Sik Salem apprend qu’un haut gradé de l’armée va venir le voir. Pensant qu’il allait enfin avoir l’occasion de témoigner de ce qui s’est passé le 14 janvier à la présidence et être officiellement félicité, Sik Salem se prépare à l’acceuillir. Une fois arrivé, le colonel-major Faouzi El Aloui, lui annonce qu’il vaudrait mieux aller discuter à la Sureté militaire. Dès que la voiture transportant les deux hommes quitte le palais, une autre voiture pleine d’hommes cagoulés les suit. Une fois éloigné du Palais de Carthage, la voiture s’arrête et les cagoulés font irruption dans le véhicule. Sik Salem est aussitôt menotté et un sac opaque est enfoncé sur sa tête. Les cagoulés le somment de se tenir tranquille. La voiture continue son chemin jusque Bab Saadoun. Une fois là-bas, Sik Salem est jeté par terre et roué de coups par les cagoulés avant d’être enfermé dans une geôle d’où il ne sortira que 16 jours plus tard sans même avoir vu la lumière du jour… ni même avoir été entendu par un enquêteur, par un juge d’instruction ou par quiconque*…
La question qui se pose est celle-ci : pourquoi Sami Sik Salem a -t-il attendu 5 ans apres la révolution pour porter plainte?

Acte 2- Sami Sik Salem a été nommé directeur de la sécurité présidentielle de Moncef Marzouki, poste qu’occupait Ali Seriati du temps du président dictateur en fuite.
Il est à rappeler que Sami Sik Salem a joué un rôle essentiel dans la transition pacifique du pouvoir, le 14 janvier 2011 , en refusant de déférer aux ordres de Ali Seriati et en convoquant Mohamed Ghannouchi, Foued Mbazzaa er Abdallah Kallel pour la transmission des pouvoirs présidentiels.

Acte 3: Sami BEN SIK SALEM, est nommé nouveau Consul de la République Tunisienne à Toulouse.

Il est à rappeler que Sik Salem a été nommé Consul Général de la Tunisie à Tripoli et qu’il a refusé ce poste. Selon la même source, «son "recasage" toulousain vise peut-être à le dissuader de porter plainte contre l'ancien chef d'état-major interarmées Rachid Ammar, érigé au rang de héros de la révolution, alors qu'il avait en verité exigé du dictateur Ben ali un ordre ecrit de celui ci pour tiré sur les manifestant.

Acte 4: Sami Sik Salem vient d'être nommé consul général, un poste sans affectation a l'étranger. C'est un poste créé de toute pièce pour l'ancien garde du corps de Ben ali. Il pourra continuer à toucher un joli salaire de 3500 euros en toute quiétude en Tunisie.

dimanche 29 juillet 2018

Vague islamiste sur les mairies tunisienne

Arrivée deuxième, derrière les listes indépendantes, au scrutin municipal du 6 mai, Ennahdha a réussi à rafler 69 % des présidences de conseils municipaux. Et dame le pion à son allié national, Nidaa Tounes, à un peu plus d’un an des législatives et de la présidentielle


marie tunisienne
LES PRÉSIDENCES DES CONSEILS MUNICIPAUX 


Il fait chaud. Dans la salle comme dans les esprits. L’élection du président du conseil municipal de la
capitale, ce mardi 3 juillet, promet d’être serrée. Les résultats tombent : 26 voix pour Souad Abderrahim, d’Ennahdha, contre 22 pour Kamel Idir, de Nidaa Tounes. Le moment est historique. C’est la première fois qu’une femme revêt l’écharpe rouge et blanc, attribut du pouvoir municipal à Tunis. Tohu-bohu et youyous accueillent l’intronisation de la nouvelle élue.

Avec cette victoire, le parti islamiste fait coup double. D’abord sur le fond, en donnant une nouvelle dimension au rôle sociopolitique des Tunisiennes et en prenant le parfait contre-pied des positions rétrogrades qui lui sont prêtées, notamment en matière d’égalité des sexes. Car sur le plan national Ennahdha est la formation qui a fait élire le plus grand nombre de femmes maires. Souad Abderrahim se voit conférer, en passant, le titre de Cheikh el-Medina, celui-là même qu’une partie de l’élite tunisoise, moderniste, bourgeoise et arrogante, refusait de voir échoir à une femme. Comme un pied de nez... Souad Abderrahim ayant grandi à Sfax, son raid réussi sur l’Hôtel de Ville sonne en outre comme une revanche pour la seconde ville du pays, tellement délaissée par le pouvoir central que ses habitants avaient migré en masse à Tunis dans les années 1980.

Une leçon de politique


De manière schématique, la répartition des présidences de conseils municipaux correspond à la confguration globale des élections législatives et présidentielle qui ont scindé la Tunisie en trois blocs : les conservateurs dans le Sud, les modernistes à Tunis et dans le Sahel, les partis de gauche dans le Nord-Ouest. Mais le scrutin aura surtout été marqué par une nette progression d’Ennahdha.

Sur la forme, le parti administre à ses rivaux une leçon de politique. On le disait marginalisé, usé, incapable de nouer des alliances au-delà de sa propre base, là où Nidaa Tounes aurait pu, ou dû, se répartir des villes avec les listes indépendantes, grandes vainqueurs le 6 mai dernier avec plus de 32 % des voix. Il n’en a rien été. Avec 28 % des suffrages, la formation de Rached Kheriji rafle 69 % des présidences de municipalités. Une prouesse. Dans certains cas, comme à Laaroussa (Nord-Ouest), elle a bénéficié de désistements du Front populaire (extrême gauche), une situation incongrue davantage liée à des relations personnelles locales qu’à des positions partisanes. Le résultat, en quelque sorte, d’un ancrage territorial travaillé de longue date.

Divorce consommé ?


Surtout, Ennahdha remporte 95 % des présidences dans les grands centres urbains, comme Tunis, Sfax ou Bizerte. C’est l’assurance d’un accès direct à plus de 4 millions d’administrés sur une population de 11 millions d’habitants. « Erdogan a commencé par la mairie d’Istanbul », rappelle Jaafar, un buraliste. Un tremplin pour des visées nationales. Et une occasion unique de consommer le divorce avec le parti majoritaire, Nidaa tounes auquel les islamistes sont alliés sur le plan national. Dès janvier 2018, Borhène Baies, chargé des afaires politiques de Nidaa, prévenait : « Nous sortons du consensus pour aller vers une situation concurrentielle avec Ennahdha. »

La campagne municipale a pourtant été parasitée par des soupçons de listes communes et d’accords secrets entre les deux partis. Ce dont les électeurs n’ont pas voulu : non contents de s’abstenir massivement (66,7 %), ils ont aussi sanctionné la formation fondée en 2012 par Béji Caïd Essebsi qui enregistre un net recul. Arrivé troisième le 6 mai, avec un peu plus de 20 % des voix, Nidaa Tounes n’obtient que 41 présidences de municipalités sur 350.

La crise est profonde. 


En quatre ans d’existence, la coalition a perdu de son entregent. Incapable de séduire ou, à défaut, de nouer des combinaisons d’appareils pour reconfigurer les équilibres politiques autour d’enjeux locaux, elle n’a pas non plus réussi à noyauter à grande échelle les listes dites citoyennes. Le cas de Mehdi Rebaï, tête de liste Union civile (indépendant) qui s’est désisté en faveur de Kamel Idir, reste
une exception.

Toutes-puissantes commissions


L’opposition, dont le Front populaire, le Mouvement du peuple, le Courant démocrate et Afek Tounes, est dans une situation aussi inédite qu’intéressante. Avec 14 mairies, elle va faire l’expérience d’un pouvoir exécutif qu’elle n’a jamais exercé. Un défi de taille, car il y va de sa crédibilité. Idem pour les indépendants, désormais aux commandes dans des villes comme Hammamet, Tozeur, Zaghouan, Radès ou l’Ariana. L’espoir qu’ils ont soulevé le 6 mai les oblige à faire au moins aussi bien que les partis, voire mieux. Il leur faudra transformer l’essai, sous le regard curieux et évaluateur des citoyens et de la société civile. 

Innover. 


Prouver leur faculté à gérer une collectivité. Montrer leur compréhension des structures administratives et politiques locales et régionales. Surtout, composer avec d’autres acteurs politiques. Car la présidence du conseil municipal ne fait pas tout.
Derrière le maire, chaque conseil est composé de 10 à 60 membres, selon le nombre d’habitants de la commune. La gestion quotidienne dépend davantage des commissions et de leur composition que de la seule étiquette du premier magistrat. Dans chaque ville, 14 commissions se répartissent la prise de décision. Celle des finances et celle de la culture – qui comprend aussi le sport, la jeunesse et les affaires religieuses – sont parmi les plus importantes.

« Des rues propres »


Rym Mourali, du Parti de l’indépendance tunisienne (PIT), rappelle que les municipalités ont par exemple un droit de regard sur les zaouïas, lieux de mysticisme populaire. À chaque ramadan, les mairies peuvent pro- poser à loisir, durant un mois, un large éventail d’événements dits cultu- rels. Mourali souligne que « malgré la rareté du foncier dans les grandes agglomérations, les villes possèdent d’importantes réserves, dont des zones vertes prévues dans les plans d’aménagement mais qui demeurent en friche. Il suffit d’une décision du conseil municipal pour changer leur affectation et en faire des écoles coraniques ou des mosquées ».

Aussi, les directions des commissions, qui n’ont pas encore été attribuées, sont- elles également l’objet de tractations entre partis. « Des rues propres sans étalages anar- chiques et avec un éclairage public seraient un bon début », ironise Maher, riverain de la médina de Tunis. Une manière de souligner

aussi que les nouveaux élus ne seront pas tant jugés sur des positions idéologiques que sur leur capacité à s’attaquer aux problèmes concrets des citoyens, dont la réso- lution est en suspens depuis la révolution de 2011. Message à ceux qui se projettent déjà vers les élections de 2019.


mercredi 18 juillet 2018

La manipulateur Hafedh Caïd Essebsi

Au cœur de la crise qui frappe le pays, le fls du président est un personnage taiseux, secret et encore méconnu. Portrait d’un homme de l’ombre à qui on prête de grandes ambitions

Les projecteurs sont braqués sur lui, mais lui préfère le contre-jour. Figure controversée du paysage politique tunisien, Hafedh Caïd Essebsi reste néanmoins mal connu. Comme s’il tenait à conserver une part de mystère. À 56 ans, le patron de Nidaa Tounes est aux manettes de la deuxième formation politique du pays, fondée par son père, Béji Caïd Essebsi, actuel président de la République. Et au cœur de la crise politique que traverse son pays depuis les municipales du 6 mai.

Excellent manipulateur


À rebours de ses homologues des autres partis, ce passionné de football, ancien vice-président de l’Espérance sportive de Tunis, n’aime ni la communication ni les mondanités. Ses interventions sont si rares que le grand public est incapable de reconnaître sa voix. Hafedh Caïd Essebsi – ou HCE – préfère l’écrit à l’oral, se montrant plus disert sur Facebook. À défaut, il laisse volontiers son entourage parler en son nom. « Hafedh est un taiseux qui laisse croire qu’il est effacé. C’est un excellent observateur, et cela induit en erreur ses interlocuteurs », explique un ancien cadre de l’Espérance. S’il n’a pas les dons de tribun de son père, il n’en a pas moins baigné depuis l’enfance dans la politique... et les intrigues qui la nimbent. Même ses détracteurs reconnaissent qu’« il n’a pas eu besoin de faire Sciences-Po : il a été à l’école de Béji Caïd Essebsi ». Un compliment qui révèle aussi un handicap : la diffculté d’être le fils d’une personnalité au charisme indéniable. Lorsqu’il intègre Nidaa Tounes, les ténors du parti le traitent avec indifférence. Mal leur en a pris.

L’homme n’est pourtant pas inconnu à Tunis, où il avait déjà tenté une carrière politique en 1989 en se présentant aux législatives comme tête de liste pour le « Parti social libéral ». Tapi dans l’ombre, discret, l’homme révèle d’insoupçonnables talents de manipulateur en 2014 quand, contre toute attente, il prend la tête du parti et succède à son père, élu président de la République. Accusations de népotisme. Que le premier magistrat est obligé de démentir lui-même, assurant qu’il ne compte nullement faire de son fils son dauphin, qu’« il ne bénéfcirait d’aucune faveur, mais qu’il ne pouvait l’empêcher de faire de la politique ». Certains estiment pourtant que rien n’aurait été possible sans la volonté du père.

Guerre 


Dans le confit qui l’oppose au Premier ministre, il s’est, pour le moment, montré habile. Fin mai, Youssef Chahed s’est en effet invité à la télévision pour le descendre en flammes devant des millions de téléspectateurs éberlués : il accuse HCE d’avoir détruit Nidaa Tounes. Pas moins. Il évoque les électeurs perdus entre les législatives de 2014 et les municipales de 2018, et le départ, sur la même période, de trente députés vers d’autres blocs parlementaires. Le parti n’est même plus majoritaire au Parlement, alors qu’à sa création, en 2012, il avait réussi à rassembler la famille progressiste, toutes tendances confondues.

L’attaque de Chahed a d’autant plus surpris qu’il est membre du parti et qu’il y a gagné ses galons en présidant la commission des treize, organisatrice du congrès constitutif de Sousse, en janvier 2016, au terme duquel Hafedh Caïd Essebsi a pu établir sa mainmise sur Nidaa Tounes. C’est son appartenance au parti qui vaudra à Chahed sa nomination à la Kasbah.

Mais les relations entre les deux hommes se sont détériorées, Hafedh Caïd Essebsi estimant que Chahed s’écarte trop des directives du parti, quand Chahed souhaite que le gouvernement reste son pré-carré. La confiance est définitivement rompue en mai 2017 avec l’arrestation, sur ordre du Premier ministre, du mafieux et financier du parti Chafk Jarraya, homme d’affaires sulfureux, soutien de Nidaa Tounes et proche de HCE.

Méthodique, Hafedh pilonne, des mois durant, le chef du gouvernement. Critique ses résultats. Réclame, avec d’autres signataires de l’accord de Carthage, qui scelle la feuille de route du gouvernement d’union nationale, un remaniement d’ampleur. Guerre d’usure, dont il est coutumier. N’a-t-il pas obtenu, au cours de l’inévitable bataille pour le leadership après l’élection de son père, le départ de figures clés, dont Mohsen Marzouk, Ridha Belhaj ou encore Boujemaa Remili ? La méchanceté est une autre de ses qualités pour lui en politique. Sa main ne tremble pas lorsqu’il faut prendre des décisions, comme éloigner Raouf Khamassi, dont il était pourtant proche, accusé d’avoir mal géré les élections partielles en Allemagne.

Montée en puissance


Malgré de nombreux revers depuis les législatives de 2014 et les assauts de ses opposants au sein même de Nidaa Tounes, la montée en puissance du fils, aîné d’une fratrie de quatre, paraît aujourd’hui irrésistible. L’intéressé se défend de viser la présidentielle de 2019. « On lui prête des ambitions qu’il n’a pas. Tout le monde prétend qu’il veut être président de la République, mais ce n’est pas le cas », concède l’un de ses adversaires politiques. «Je ne nagerai pas à contre-courant de Nidaa Tounes; je ne vais pas m’isoler ni imposer ma vision », assure HCE, qui doit maintenant préparer le congrès électif de Nidaa Tounes, maintes fois reporté, dont la tenue devient urgente au regard du calendrier électoral. Deux scrutins doivent avoir lieu l’an prochain. Le vainqueur des législatives fera la pluie et le beau temps, notamment lors de la présidentielle qui suivra. Dans cette optique, diffcile de dire pour quelle candidature travaille HCE, mais nul ne l’imagine prendre sa décision sans l’assentiment de son père. En tout cas, l’homme a mis fin au consensus entre Nidaa et Ennahdha. « Pour 2019, c’est chacun pour soi », glisse Hafedh dans Middle East Eye. En privé, il a même fait remarquer à Rached Ghannouchi que « les deux partis ont pâti du consensus ». Ironie du sort, Ennahdha affiche depuis son soutien à Youssef Chahed.

Excellent joueur de cartes, Hafedh Caïd Essebsi a deux atouts dans sa manche : le sens du tempo et une grande maîtrise de soi. Sa tactique, désormais rodée, consiste à laisser venir, à miser sur le pourrissement et l’impulsivité de ses adversaires. Objet d’une campagne de dénigrement, il n’a pas cillé lorsque Lazhar Akremi, un ancien de Nidaa Tounes, a prétendu qu’il était sous la coupe de son épouse, Rym Reguig, qualifée au passage de « nouvelle régente de Carthage », en référence à Leïla Trabelsi. Si HCE a le sens du clan, il en connaît les limites dans une Tunisie encore convalescente. « On veut en faire quelqu’un alors qu’il souhaite prendre le pouvoir en usant des marionnette du parti », confe l’un de ses proches, qui souligne que « le prochain mandat sera dificile pour tous. Ce sera celui de la recevabilité. Les Tunisiens demanderont des comptes après dix années de révolution.


dimanche 10 juin 2018

Saber Laajili, affaire numero 4919


Un an après son arrestation pour atteinte à la sûreté de l’État, ce haut cadre de la lutte antiterroriste croupit toujours en prison. Pourtant, les pièces versées au dossier d’instruction sont loin d’être accablantes.


Dire que, pour Saber Laajili, cela aurait pu être une soirée de ramadan comme les autres. Mardi 30 mai 2017, il quitte sereinement La Marsa après son habituelle partie de cartes avec des amis. Arrivé dans sa rue, il aper- çoit des collègues devant son domicile. Il est 1 h 30 du matin. Le directeur de la Sûreté touristique, suspicieux, croit être la cible d’une embuscade organisée par des terro- ristes. En son for intérieur, il regrette de ne pas porter son arme de service. Saber Laajili est loin d’imaginer que commence pour lui un long cauchemar. Celui qui fut le patron de la brigade antiterroriste d’El-Gorjani est appréhendé par ceux à qui il inspirait, jusqu’à il y a peu, respect, voire admiration. Une heure plus tard, le voilà déféré devant le juge d’instruction : il est soupçonné de com- plot contre la sûreté de l’État. Pas moins. Sa vie bascule. C’est ainsi que débute l’afaire no 4919 : une intrigue digne d’un film de Costa Gavras sur fond d’argent sale, d’es- pionnage et de dénonciations anonymes.

L’accusé n’est pas n’importe qui. Sa répu- tation le précède. Avec ses équipes, Saber Laajili afche un palmarès édifant : opéra- tion déjouée contre le lycée français de La Marsa, attaque anticipée à Ben Guerdane, en mars 2016, et informations sensibles recueillies en février 2016 pour préparer le raid américain contre un camp de Daesh, à Sabratha, en Libye. La réactivation des filières du renseignement ? À verser, en partie, à son crédit aux yeux de l’opinion publique. Le patron de l’antiterrorisme est même félicité par le chef du gouverne- ment, Youssef Chahed, après une saisie, en octobre 2016, de missiles sol-air à gui- dage thermique à la frontière libyenne, à Ben Guerdane. Diplômé de droit, entré au ministère de l’Intérieur en 1993, il ne sait pas qu’il est depuis sept mois l’objet d’un signalement auprès du procureur général.

L’informateur – dont le nom ne peut être dévoilé, secret de l’instruction oblige – est pourtant formel : Laajili traiterait avec des terroristes étrangers, en l’occurrence libyens. Et les liens, d’après cette source, outrepasseraient les prérogatives du fonc- tionnaire. « Mais avoir des contacts et des indicateurs est une démarche normale et courante pour ceux qui travaillent à partir du renseignement ! » plaide un proche du prévenu, encore stupéfait des chefs d’in- culpation retenus. Comment soupçonner le patron d’une brigade antiterroriste, qui a contribué au rétablissement de la stabi- lité sécuritaire après les attentats de 2015, d’entretenir des liens avec des extrémistes ?

La question devient intention

Témoignages et documents confrment que Saber Laajili était en contact avec Chafk Jarraya, lobbyiste et sulfureux business- man tunisien réputé pour sa proximité avec des milices libyennes . Quelque temps avant son arrestation, il l’avait reçu dans les locaux du minis- tère de l’Intérieur. L’homme d’affaires était accompagné d’un avocat libyen suscep- tible de devenir une source. Des témoins étaient présents quand Saber Laajili avait demandé à l’un de ses subal- ternes si l’un des terroristes libyens arrêtés en Tunisie était libérable. La question estdevenue intention. Et le « super policier », suspect. Mohamed Abbou, l’un des avo- cats de Saber Laajili, est outré. Militant des droits humains et membre de son comité de défense, il fait valoir que « cette demande ne constitue pas un crime. Laajili n’avait aucun pouvoir judiciaire pour faire libérer qui que ce soit et travaillait sous l’autorité du ministère public ! » La justice militaire, elle, en a décidé autrement lorsque l’accusé a été déféré.

Procédure bancale

Sept mois durant, pourtant, Saber Laajili n’a pas été inquiété. Pis : alors qu’il fait déjà l’objet de soupçons, il est muté à la direc- tion de la Sûreté touristique, poste sensible par excellence. Nul n’imagine qu’il puisse être impliqué dans une afaire d’atteinte à la sûreté de l’État. Après l’attentat d’El Kantaoui, en juin 2015, c’est lui qui avait été chargé de mettre en place de nouvelles normes de sécurité en coopération avec les autorités britanniques. Un paradoxe que la défense relève à peine tant les contra- dictions et zones d’ombre dans le dossier d’instruction lui-même lui semblent nom- breuses. Walid Boussarsar, l’un des avocats de Laajili, afrme que « le dossier est vide ». Il remarque des erreurs sur les dates : l’in- formateur ferait référence à une rencontre en février 2016, alors qu’en réalité elle aurait eu lieu en octobre, au moment où l’intéressé n’était pas encore en poste. La défense accuse la source du ministère de la Justice d’être coutumière des dénoncia- tions calomnieuses.

Walid Boussarsar évoque aussi des articles de presse ou des interventions sur les réseaux sociaux versés comme preuves au dossier sans qu’aucun recoupement ne les ait validés. Des documents qui disculpent Saber Laajili seraient, eux, traités avec légèreté. Ils prouveraient pourtant que l’homme agissait dans le strict cadre de son travail, recevant Chafik Jarraya sur ordre de son supérieur Imed Achour, ex-directeur général des Services spéciaux, égale- ment arrêté, et avec l’approbation explicite du ministre de l’Intérieur de l’époque, Najem Gharsalli, qui est lui sous le coup d’un mandat d’amener. Pour la défense, c’est le signe que les rencontres se voulaient bien professionnelles et qu’elles permettaient à Laajili de soutirer de précieuses informations et des contacts à Chafk Jarraya, notamment sur la Libye.

À en croire Walid Boussarsar, les incohé- rences de procédure seraient aussi légion : « L’informateur, qui a préféré s’adresser au sommet de l’exécutif au lieu de se tourner vers sa hiérarchie ou vers les services de l’inspection, a été orienté vers le procu- reur général, auquel ont recours surtout les avocats, plutôt que vers le procureur de la République. » Aujourd’hui, la pro- cédure piétine : « Les premiers délais légaux de rétention ont été dépassés le 26 novembre 2017. Plutôt que de le libérer, on a imputé à mon client une autre afaire.

Mais sur les 6 000 pages de ce nouveau dossier, son nom n’est pas cité une seule fois ! Il a même été relaxé. » Laajili est pourtant toujours détenu. Le comité de défense, jugeant que cette incarcération n’est conforme ni au droit international ni à la Constitution tunisienne, a porté plainte en décembre 2017 contre le gou- vernement auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, à Genève. Une démarche que justife aussi le suivi médical approximatif dont bénéfcie Saber Laajili, opéré d’un cancer au cours de sa détention.

Mauvais signal

« Ce scénario aurait pu s’être produit sous Ben Ali, tempête Mohamed Abbou. On trouve une micro-histoire et on en fait toute une affaire. C’est du jamais vu ! » L’avocat s’alarme de l’état psychique d’Imed Achour, l’ancien directeur général des Services spéciaux : « La loi nous empêche de parler des détails de l’affaire, mais on ne peut taire les dépassements quand il touche à des vies humaines. » « Jamais un grand sécuritaire n’a été arrêté en Tunisie ni pour corruption ni pour torture, notent des membres du comité de défense. Là, on les implique carrément dans des affaires de sûreté de l’État ! » La crainte ? Que cette affaire donne un coup d’arrêt à la lutte antiterroriste. « Les hommes de la Sûreté ont vu leurs chefs arrêtés pour avoir simplement fait leur travail. De peur de subir les mêmes accusations, ils ont cessé de travailler. Un climat de suspicion règne au sein des services de la Sûreté de l’État, avec tous les dangers que cela entraîne », sou- ligne l’historien et opinioniste Abdelaziz Belkhodja. « Le message aux sécuritaires est clair. Si tu fais ton travail, tu risques la prison. D’où prend-on les informations si ce n’est auprès des indicateurs ? » se désolent des cadres du ministère de l’In- térieur, qui notent que seul le Syndicat des fonctionnaires de la direction générale des unités d’intervention (SFDGUI) a exprimé sa solidarité à Laajili. Les ONG de défense des droits de l’homme se montrent, elles, timorées. Sollicité par la famille, Human Rights Watch n’a pas donné suite, comme s’il était gênant de défendre les droits d’un ancien chef de la police.

Depuis la chute du régime de Ben Ali, le système sécuritaire est au centre de nombreuses polémiques et remises en question, notamment par la société civile. Il a également été visé par des tentatives de noyautage par des partis politiques. Mais, par le passé, les dossiers restaient tuniso-tunisiens. Le cas Saber Laajili amène des conclusions infniment plus graves. D’abord, il signe l’aveu de défaillance des autorités tunisiennes. Comment expliquer sinon qu’elles aient pu nommer, puis promouvoir, à des postes de haute responsabilité de potentiels complices de terroristes ? La question reste à ce jour sans réponse. L’affaire no 4919 semble aussi mal ficelée. En évoquant une collusion avec une armée étrangère, l’État semble reconnaître les milices libyennes comme une armée légitime. Or ce n’est pas la position de la diplomatie tunisienne. Erreur de terminologie ? Cafouillage à mettre sur le compte de la précipitation des instructeurs ? Dans tous les cas, la dimension politique de l’affaire est indéniable. « Qui est derrière tout cela ? » s’interroge un proche de Laajili. Mystère...

CIRCULEZ, IL N’Y A RIEN À VOIR

Silence radio du gouvernement un an après le coup de flet anticorruption qu’il a lancé en mai 2017. « 95 % des affaires sont en cours, donc sous le sceau du secret de l’instruction », avance le ministère de la Justice pour justifier l’absence de bilan. Malgré les discours et les effets d’annonce, aucune affaire spectaculaire n’a réellement été dévoilée. Et les Tunisiens ne croient plus aujourd’hui à la fiabilité d’une quelconque « opération mains propres. »

À l’époque, une crise économique sévère frappe la Tunisie, et les revendications sociales frisent l’appel à la désobéissance civile, notamment à El Kamour, dans le Sud. Le terreau est explosif quand Youssef Chahed déclare la guerre aux corrompus. Le patron de la Kasbah opère une prise de choix avec l’arrestation de l’homme d’afaires et lobbyiste Chafk Jarraya, qui, fort de ses relations, entre autres politiques, avec Nidaa Tounes, nargue régulièrement
le pouvoir. Efet immédiat dans l’opinion publique : le patron de la Kasbah s’ofre un bol d’oxygène, et sa popularité repart à la hausse. Dans les faits, les dossiers – qui existent depuis des années – pour lesquels Chafk Jarraya fait l’objet de poursuites sont nombreux. Mais la mémoire collective n’en retient qu’un : celui d’atteinte à la sûreté de l’État, qui a conduit à son arrestation en mai 2017. Cette afaire n’a pourtant rien à voir avec la bataille « anticorruption » menée par Youssef Chahed. Dans la foulée de l’interpellation de Chafk Jarraya, qui n’exerce plus son inffuence, une dizaine de figures du commerce parallèle sont arrêtées pour des délits douaniers mineurs.




mercredi 11 avril 2018

Mehdi Jomâa « La politique, c’est les résultats, pas les discours »

Extrêmement sévère avec les gouvernants actuels, l’ancien Premier ministre veut incarner une troisième voie, ni de droite ni de gauche, mais fondée sur une vision stratégique claire.


Mehdi Jomâa
Mehdi Jomâa, mars 2018

Les Tunisiens ont plutôt un bon souvenir de Mehdi Jomâa : en un an seulement, entre janvier 2014
et janvier 2015, il a su organiser des élections législatives et présidentielle exemplaires, alors que le pays était au bord de l’implosion. Il a laissé l’image d’un Premier ministre pondéré, dynamique, avec des idées claires, qui n’a jamais cédé aux querelles politiques ni aux foucades du président de l’époque, Moncef Marzouki, ce qui n’était pas gagné d’avance. À la fin de sa mission, même s’il fut un temps question d’une candidature à la présidentielle dans les salons tunisois, il est devenu, à 52 ans, le plus jeune retraité de la vie politique tunisienne. Cet ingénieur de formation, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans une filiale du groupe Total, se serait bien vu retrouver le secteur privé. Les circonstances – l’aggravation de la situation économique, l’absence, selon lui, des réformes qu’il juge indispensables pour éviter un naufrage annoncé, le discrédit des politiques et les appels du pied de ceux qui ont apprécié son passage à la tête du gouvernement – en ont décidé autrement. Il lance ainsi, au début de 2016, son think tank, Tunisie Alternatives. Qui se muera ensuite en un véritable parti politique. Par tempérament comme du fait d’un inévitable apprentissage des us et coutumes politiciens et médiatiques, il se fait d’abord très discret, plus soucieux de réunir et de convaincre ceux avec qui il entend mener cette nouvelle aventure que de courir les plateaux télé ou les salles de rédaction. Idem au sujet des attaques et des insinuations pernicieuses dont il a fait l’objet quand ses adversaires ont compris qu’il rejoignait le marigot politique : jamais il n’y a répondu. Une prudence de Sioux qui a désorienté ses partisans, ses soutiens comme certains membres de son entourage, qui le pressaient de franchir le Rubicon. C’est désormais chose faite, et personne n’en doute plus, même s’il prend grand soin de botter en touche lorsqu’on lui demande s’il sera sur la ligne de départ lors de la présidentielle de 2019. Sa stratégie est claire : incarner une troisième voie, ni de droite ni de gauche, une personnalité neuve susceptible de séduire des électeurs déçus par la classe politique et les partis traditionnels. Voilà qui rappelle furieusement l’ascension d’un certain Emmanuel Macron.

Cinq axes principaux

À 55 ans, le natif de Mahdia a beaucoup d’atouts dans sa manche. Il bénéficie d’une certaine virginité dans la sphère politique tout en pouvant se prévaloir d’une expérience certaine de la chose publique et de la gestion des affaires de l’État. Sa connaissance du monde de l’entreprise, sa maîtrise de l’économie – le vrai problème de la Tunisie – et son bilan au sein puis à la tête du gouvernement plaident pour lui. Comme le fait qu’il est, pour l’instant, le seul à avoir fait part de sa vision pour la Tunisie, articulée autour de cinq axes principaux : cohésion nationale et sociale, gouvernance (fondée sur le mérite et la compétence), économie adaptée à son environnement, nouvelles technologies et place du pays à l’international (centre d’excellence, pays de neutralité positive et de liberté). Parmi ses handicaps, sa relative naïveté face à des concurrents plus madrés, sa méconnaissance des entourloupes de la politique politicienne et, surtout, le fait qu’il ne soit pas prêt à tout (ou presque) pour parvenir à Carthage. Autre écueil de taille, la limitation de ses moyens financiers – le nerf de la guerre dans toute bataille électorale.

Si son positionnement ressemble beaucoup à celui de Macron un an avant son élection, ce dernier a tout de même bénéficié d’un concours de circonstances inouï (renoncement de François Hollande, défaite d’Alain Juppé lors de la primaire de la droite et du centre, affaire Fillon, qualification de Marine Le Pen pour le second tour) et de la décrépitude du Parti socialiste. Le paysage tunisien est différent, Nidaa Tounes et Ennahdha dominent toujours largement la scène. Pour mieux cerner Mehdi Jomâa et comprendre son ambition, nous l’avons rencontré, le 5 mars, en fin de journée. Il a répondu à nos questions, sans en avoir exigé le contenu au préalable, en toute décontraction.

Blog : Les élections municipales, après moult reports, se tiendront finalement le 6 mai. Quels en sont les enjeux ?

Mehdi Jomâa : C’est enfin l’occasion de renouer la confiance avec les citoyens. Il est primordial aujourd’hui de faire émerger une nouvelle classe politique et un nouveau leadership. Ces municipales concernent tout de même 7 500 élus. Ensuite, les villes et les villages traversent d’importantes difficultés depuis la révolution. Il est grand temps de tourner cette page, de traiter leurs demandes et les services de proximité que l’État doit leur rendre. Ce qui m’inquiète, en revanche, c’est qu’un transfert des responsabilités vers les localités a aujourd’hui été mis en place. Or rien n’a été fait pour l’assumer. L’affectation des ressources nécessaires, qu’elles soient humaines ou financières, est inexistante. Pas une ligne dans le budget 2018 !

Comment réagissez-vous à l’invalidation d’un certain nombre de listes par l’Instance supérieure indépendante pour les élections ?

Cela ne concerne qu’un peu plus d’une centaine d’entre elles et fait partie du processus normal. L’abondance des candidats et des listes est une bonne nouvelle.

Manifestations populaires en janvier, inscription de la Tunisie sur la liste noire de l’Union européenne, loi de finances 2018 particulièrement décriée... La situation économique semble particulièrement délicate.

L’avènement d’une majorité démocratiquement élue en 2014 devait nous permettre de mener à bien les réformes indispensables à une véritable transition économique. Depuis, plusieurs gouvernements se sont succédé. Résultat : rien. Pas de vision, pas de programme, pas de réforme. Évidemment, la situation globale n’a pu qu’empirer. Le seul point positif, c’est l’amélioration de la sécurité et la lutte contre le terrorisme.

Que faut-il faire selon vous ?

Ce que nous avions préconisé avant de partir : revoir de fond en comble la fiscalité, l’administration, le système de subventions, les caisses de retraite, etc. Il faut de l’audace, de la clarté, partager cette vision avec la population, donc de la pédagogie, et une équipe commando chargée de mener ces réformes qui soit compétente, cohérente et ne perde pas de temps à jouer les équilibristes politiques...

Vous êtes particulièrement sévère avec les dirigeants actuels...

Je ne fais que juger les actes posés, ceux qui ne l’ont pas été et la situation générale du pays. La politique, c’est les résultats, pas les discours. Après les élections, l’alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha nous a justement été vendue comme celle d’une large majorité susceptible de pouvoir accomplir les réformes nécessaires, élargie par la suite avec les accords de Carthage. Elle avait les moyens politiques des ambitions de la Tunisie. Finalement, ces ambitions ont été enterrées.

La question de l’islam politique a longtemps divisé les Tunisiens, notamment en 2013. Au point de contraindre Ennahdha à proclamer son aggiornamento officiel. Quelle est votre position sur ce sujet ?

La question est réglé par la Constitution : il n’y a aucune place pour l’islam politique en Tunisie. Nous sommes unis par notre histoire et notre culture. Les seules discussions qui nous intéressent dans le cadre d’un État civil et séculier, c’est comment nous développer, créer de la prospérité, garantir la liberté et la sécurité, nous responsabiliser.

Constitution : il n’y a aucune place pour l’islam politique en Tunisie. Nous sommes unis par notre histoire et notre culture. Les seules discussions qui nous intéressent dans le cadre d’un État civil et séculier, c’est comment nous développer, créer de la prospérité, garantir la liberté et la sécurité, nous responsabiliser.

Votre parti se nomme Tunisie Alternatives (Al-Badil Ettounsi). Concrètement, que proposez-vous de nouveau alors que les Tunisiens font preuve d’une défiance accrue vis-à-vis de leur classe politique et qu’il existe déjà pléthore de partis ?

Je comprends le désarroi des Tunisiens pour les raisons évoquées précédemment, notamment l’absence criante de résultats, malgré les promesses. Or, moi, je ne suis pas issu de cette classe politique. Ce qui m’intéresse, c’est de réunir des personnes compétentes qui veulent s’engager pour
le pays et placent les intérêts de celui-ci au-dessus de tout, des intérêts personnels comme corporatistes. Pour faire de la politique autrement sans être enfermé dans des idéologies qui appartiennent au passé.

Vous êtes issu du secteur privé. Est-ce, selon vous, un avantage ou un handicap ? Compte tenu de la situation, c’est un avantage. 

Dans le monde de l’entreprise, on cherche tous les jours à se développer, à progresser, tout en rationalisant nos moyens. Ce qui prime, c’est la culture du résultat, la vision stratégique, la transpa- rence et l’efficacité. Nos dirigeants actuels sont tournés vers le passé. Le monde de l’entreprise regarde, lui, en permanence vers l’avenir. Cela ne prépare pas forcément à gérer un État, une nation...

Il se trouve que cet apprentissage, j’ai eu la chance de le faire lorsque j’étais ministre puis Premier ministre. Une expérience très riche. Un peu comme Emmanuel Macron en France [rires]...

De quelles références politiques, en Tunisie ou ailleurs, vous réclamez-vous ?

Je ne me réclame de personne. Je ne suis pas un idéologue, vous l’aurez compris, mais un pragmatique. Je ne suis ni de gauche ni de droite. Je suis pour la libération de l’initiative personnelle, mais aussi pour un État solidaire. Je crois aux valeurs du travail et de l’excellence, car je suis moi-même le fruit de l’ascenseur social, comme je crois aussi à celle de la solidarité. Je m’adresse aux deux Tunisie : celle qui a encore de l’ambition, mais aussi celle qui a cessé de rêver.

Parmi les nombreux débats de société qui ont agité le pays, lesquels vous semblent prioritaires ?

Je pense que la priorité des priorités, c’est notre situation économique et sociale. Nous devons rétablir une dynamique et donc renouer avec l’espoir. C’est ce qui nous donnera les moyens de défendre toutes les autres causes.

Quel principal enseignement avez-vous tiré de votre passage à la tête du gouvernement, entre janvier 2014 et février 2015 ?

D’abord la satisfaction immense de servir mon pays, d’être utile. J’ai également compris que la politique est le pire des métiers, mais qu’il doit être exercé par les hommes et femmes les meilleurs. Enfin, que la Tunisie regorge de compétences qui sont aujourd’hui gâchées. Nous avons tout ce qu’il faut pour devenir une terre de modernité, de créativité, de prospérité et de liberté.

Comment voyez-vous les élections législatives et présidentielle de 2019 ?

Nous avons commis l’erreur majeure de penser que la démocratie se limitait aux élections. Depuis la révolution, l’intégralité de la vie politique de notre pays est rythmée par les scrutins. En pensant que, pour être élu, il suffisait de multiplier les promesses qui ne seront jamais tenues ou de dénigrer l’adversaire. J’espère donc que ces élections seront l’occasion, enfin, de voir les candidats présenter de vrais programmes, bâtis autour d’un projet sincère qui permette d’explorer le potentiel qui est le nôtre.

Vous avez déclaré à plusieurs reprises « mener un combat pour votre pays ». Vous êtes de plus en plus visible et audible, tenez des meetings, avez créé votre parti : on imagine mal que vous ayez fait tout cela sans penser à la présidentielle de 2019. Pourquoi ne pas vous déclarer ?

Je ne vais tout de même pas me comporter comme ceux que je critique ! Pour l’instant, je m’attelle à rassembler les hommes et les femmes qui, à mon sens, sont les plus à même de sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve. Mais je ne me présenterai pas si je n’ai pas un vrai programme, ambitieux, précis et pertinent.

Vous l’avez présenté, notamment lors de votre meeting de Sfax...

Ce n’est pas un programme, c’est une vision. C’est important, car c’est ce qui a manqué à nos dirigeants ces dernières années. Mais il faut la détailler, la nourrir avec les différents acteurs et avec les régions, vérifier que les politiques publiques que nous proposerons sont applicables et tiennent bien compte des réalités du terrain. Nous y travaillons.

mardi 13 mars 2018

Les Tunisiennes veulent leur part d’héritage

Egalité!», «Egalité!» Le slogan était partout, samedi 10 mars, dans le quartier du Bardo, à Tunis, la capitale. « Egalité ! » dans les mots hurlés. « Egalité ! » sur les pancartes brandies. « Egalité ! » dans les esprits et les cœurs d’une foule de Tunisiens – environ 2 000 personnes – marchant pour que cesse la discrimination frappant les femmes en matière d’héritage. « C’est un événement historique », se réjouit Emna Ben Miled, psychologue et anthropologue, à l’initiative de ce rassemblement.

La Tunisie des droits des femmes a connu des manifestations plus massives que celle-là – notamment lorsque les islamistes d’Ennahda étaient au pouvoir (fin 2011-début 2014) –, mais c’était bien la première fois qu’une manifestation était spécifiquement organisée contre l’inégalité successorale, sujet éminemment sensible car inscrit dans d’immémoriales traditions. Selon la loi tunisienne, issue en l’occurrence des préceptes du Coran, la femme n’hérite que de la moitié de la part de l’homme du même degré de parenté.

Le débat autour de l’inégalité successorale promet de s’installer avec force ces prochains mois sur la scène publique en Tunisie. L’initiative en revient au président de la République, Béji Caïd Essebsi, qui avait annoncé, le 13 août 2017, son souhait d’aboutir en Tunisie à « l’égalité [entre hommes et femmes] dans tous les domaines ». « Et toute la question réside dans l’ héritage », avait-il alors ajouté.

A cette fin, il a mis sur pied une « commission de l’égalité et des libertés individuelles », chargée de réfléchir à une réforme de l’arsenal législatif afin d’en éliminer les dispositions attentatoires aux libertés individuelles ou sources de discrimination. « Il s’agira d’un projet civilisationnel », explique la présidente de ladite commission, Bochra Belhaj Hmida, avocate féministe et députée affilée à Nidaa Tounès, le parti du président Essebsi.

Le rapport de la commission devait être rendu en février, mais la perspective d’élections municipales en mai a reporté l’échéance, vraisemblablement en juin. Si la question de l’héritage est le chantier emblématique de cette commission, celle-ci examinera aussi toute la gamme d’inégalités de genre. La question de la dépénalisation de l’homosexualité sera également abordée.

Tous ces sujets demeurent très sensibles en Tunisie, où la frange progressiste de la population doit toujours compter sur un environnement majoritairement conservateur. Les esprits, toutefois, évoluent, à en croire les militants les plus impliqués sur ces combats sociétaux. « La population tunisienne est davantage prête que ne l’admettent les hommes politiques », assure Wahid Ferchichi, professeur de droit et président de l’Association tunisienne de défenses des libertés individuelles.

Le simple fait que la question de l’égalité dans l’héritage, taboue jusqu’il y a quelques années, soit désormais débattue dans la sphère publique est « une victoire pour les féministes en Tunisie », se réjouit Monia Ben Jemia, président de l’Association tunisienne des femmes démocrates.

Une réforme « révolutionnaire »

La coalition gouvernementale, forgée en 2015 autour des partis Nidaa Tounes (« moderniste ») et Ennahda (« islamiste ») – le premier étant en position dominante – et qui a contribué à dépassionner les grandes querelles idéologiques de l’après-révolution de 2011, crée sûrement un contexte politique favorable à une avancée. Désireux de polir leur image, notamment sur la scène internationale, les dirigeants d’Ennahda affichent une ouverture d’esprit nouvelle, même si une partie du camp « moderniste » continue de douter de la sincérité de leur évolution. « Si une réforme doit passer, c’est maintenant ou jamais, affirme Mme Ben Jemia. L’actuel rapport des forces politiques permet une entente entre les deux formations. » Mais qu’en serait-il en cas de réalignement de la scène politico-électorale ?

Aussi Mme Belhaj Hmida est-elle résolue à ne pas laisser passer l’occasion. Elle annonce une réforme « révolutionnaire », « aussi importante que le code du statut personnel ». Ce code, imposé en 1956 au lendemain de l’indépendance par Habib Bourguiba, le « père de la nation », a placé la Tunisie à l’avant-garde du monde arabo- musulman en matière de droits des femmes. Cet arsenal législatif a aboli la polygamie, institué le divorce judiciaire – se substituant à la répudiation –, fixé un âge minimum pour le mariage – 15 ans pour les femmes, devenu plus tard 18 ans – et exigé le consentement des deux époux lors de l’union. Socle de ce qu’on a appelé le « féminisme d’Etat », le code du statut personnel demeure toutefois « ambivalent », souligne Sana Ben Achour, professeure de droit et figure du féminisme tunisien. Car il dispose toujours que le père est le « chef de famille », demeure hermétique à l’idée de viol conjugal et ne touche pas à l’inégalité successorale.

L’évolution sociétale de la Tunisie, où les femmes représentent désormais plus du quart de la population active et contribuent ainsi à la formation du patrimoine familial, rend impératif, aux yeux des féministes tunisiennes, un ajustement de la loi aux nouvelles réalités. Une partie de la société a d’ailleurs elle- même commencé à prendre les devants sans attendre une réécriture de la loi. De nombreuses familles instituent déjà l’égalité entre frères et sœurs à travers des donations octroyées du vivant des parents, surtout depuis qu’elles font l’objet d’exonérations fiscales.

La Tunisie est-elle à la veille d’un nouveau grand chambardement ? La publication, en juin, des conclusions du rapport de la commission de Mme Belhaj Hmida promet assurément d’être une étape décisive. Un « code des libertés individuelles » en émergera, ainsi qu’une série de projets de loi dépoussiérant le corpus législatif existant. Mais, avec une Constitution de 2014 qui proclame tout à la fois que l’Etat garantit « la liberté de conscience » et « protège le sacré », la Tunisie demeure dans une certaine schizophrénie.

Afin de ménager les sensibilités, la commission de Mme Belhaj Hmida pourrait ainsi proposer une égalité de principe assortie d’options, une manière d’accommoder les familles qui souhaiteraient perpétuer les traditions. Mais, sur la question de l’héritage, Mme Belhaj Hmida, est formelle : « Même s’il y a des options, on restera dans l’égalité. »

vendredi 2 mars 2018

La fausse retraite de l’homme du Bardo

Bien qu’il ait quitté la direction d’Ettakatol, Mustapha ben Jaafar, l’ancien président de l’Assemblée nationale constituante, n’entend pas sortir de l’arène politique.



Mustapha Ben Jaafar


Trois ans après avoir cédé les manettes du pouvoir législatif à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), élue à la ancien président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), qui a écrit la Constitution de la deuxième république, a abandonné la direction de son parti le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL, Ettakatol) le 11 septembre 2017, lors du troisième congrès de cette formation. Est-ce à dire que ce dinosaure de la vie politique quitte

En transmettant le témoin à Khalil Ezzaouia, médecin comme lui, le fondateur d’Ettakatol clôt plus probablement un chapitre pour en ouvrir un autre. D’autant qu’à 78 ans il est un peu plus âgé que l’un des deux caciques du pouvoir actuel – Rached Ghannouchi (77 ans), président du mouvement Ennahdha – et beaucoup plus jeune que l’autre, le président Béji Caïd Essebsi (91 ans).

Mustapha ben Jaafar tombe très jeune dans la mare politique. Comme bon nombre de Tunisiens tous jeunes au moment de l’indépendance de la Tunisie en 1956, il rejoint les rangs du Néo-Destour. Étudiant en France, il passe également par la case de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGTE).

En 1969, après le limogeage du ministre Ahmed ben Salah, tenu par Bourguiba pour responsable de l’échec de l’expérience de la collectivisation et de l’échec en 1970 du congrès de Monastir du parti au pouvoir (rebaptisé Parti socialiste destourien), le jeune médecin rejoint, une fois rentré au pays, les dissidents libéraux du parti au pouvoir, mené par l’ancien ministre Ahmed Mestiri.

Avec ce groupe, Mustapha ben Jaafar participe successivement au lancement de l’hebdomadaire Errai (l’Opinion), à la création du Conseil des Libertés, devenu par la suite la Ligue tunisienne des droits de l’homme (dont il est le vice-président de 1986 à 1994), et, en particulier, à celle du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), principale formation de l’opposition dans les années 1980.

Au début des années 1990, le parcours de Mustapha ben Jaafar prend un autre virage. Exclu en 1992 du MDS avec d’autres membres du bureau politique, après que Mohamed Moada en prend les commandes à la place du fondateur, Ahmed Mestiri, Ben Jaafar créé Ettakatol en 1994.

Le combat de cet homme pour la démocratie, les droits de l’homme et la justice économique et sociale connaît une forme d’aboutissement après le 14 janvier 2011. Arrivé quatrième aux élections du 23 octobre 2011, son parti se retrouve à l’ANC et au sein de la coalition gouvernementale. Donc au pouvoir. Pour trois ans.

Mais après l’échec de son parti aux législatives et le sien à la présidentielle de novembre et décembre 2014, Ettakatol se retrouve de nouveau dans l’opposition. Mustapha ben Jaafar paie-t-il aujourd’hui la traitrise d'avoir signé avec les islamistes d'Ennahda ?

Bien sûr, lui et la nouvelle direction du parti, élue le 11 septembre 2017, ne laissent rien transparaître. Mais leur séparation, bien que consommée de manière civilisée, semble un tant soit peu forcée.
Elle a eu lieu de la meilleure manière possible, assure le tout nouveau président du FDLT, Khelil Ez- zaouia. Selon lui, il n’y a guère eu besoin de pousser le fondateur et secrétaire général du parti – pendant vingt-trois ans –vers la sortie, puisqu’il avait déjà annoncé son départ.

D’ailleurs, Khelil Ezzaaouia dresse un bilan globalement positif de l’action de son prédécesseur et du parti. Il rappelle ainsi que le FDTL a beaucoup souffert sous le régime Ben Ali. De 1994 à 2002 (obtention de l’agrément), les dirigeants de ce parti ont vécu dans la clandestinité. « Nous n’avions pas nos passeports. Nous nous réunissions clandestinement et, à chaque fois que sortions un communiqué, nous faisions l’objet de poursuites judiciaires », se souvient le nouveau président.

Malgré l’obtention de l’agrément en 2002, Ettakatol demeure un parti « légal mais non reconnu. On a eu du mal à avoir l’autorisation d’éditer un journal ». Les choses ont changé radicalement après le 14 janvier 2011. « Le parti a joué un rôle important dans la phase d’élaboration de la Constitution. Mustapha ben Jaafar également, en qualité de président de l’ANC. Nous avons œuvré pour la stabilité », insiste Khelil Ezzaouia.

Le nouveau président estime que toute action humaine « a des aspects positifs » et d’autres qui le sont moins. Il ne fait pas porter les erreurs commises à son prédécesseur seul, mais à tout le parti. Il en voit au moins deux.

« Lorsque nous sommes entrés au gouvernement nous avons délaissé le parti. » Mais ce rôle va coûter très cher à cette formation et à son chef.

L’alliance au lendemain des élections du 23 octobre 2011, avec le mouvement islamiste Ennahdha – et le Congrès Pour la République (CPR), de l’ancien président Moncef Marzouki – pour former la Troïka, qui va gouverner la Tunisie entre 2012 et 2014, provoque une véritable rébellion au sein d’Ettakatol. Qui tourne rapidement à une hémorragie de démissions. Critiques. Critiqué de toutes parts, l’ex-secrétaire d’Ettakatol connaît les assassinats, respectivement le 6 février et le 25 juillet 2013, de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, tous deux membres de la direction du Front populaire, coalition de partis de gauche.

Désarçonné par cette affaire, le chef du gouvernement de la Troïka, Hamadi Jebali, annonce le 13 février 2013, sa décision de démissionner, après que son parti, Ennahdha, refuse sa proposition de remplacer le gouvernement en place par un autre formé de technocrates, dans l’espoir de calmer la situation dans le pays. Plusieurs de ses compagnons poussent Mustapha ben Jaafar, à emboîter le pas à l’hôte de La Kasbah et à quitter la coalition.

« Je suis convaincu que s’il l’avait fait, on aurait pu pousser le parti islamiste à accepter la décision de Hamadi Jebali », juge un ex-membre du gouvernement de la Troïka, également dirigeant quitter quelques mois plus tard. Le président de l’ANC refuse dans un premier temps de quitter le bateau de la Troïka. Il se ravise cinq mois plus tard.

Voyant que la crise provoquée par l’assassinat de Chokri Belaïd risque de provoquer une guerre civile, le secrétaire général d’Ettakol- contribue un tant soit peu à l’acceptation par Ennahdha de quitter le gouvernement et de permettre ainsi de sortir le pays de l’impasse. Usant de ses prérogatives de président de l’A NC, il décide d’en suspendre les travaux et, de ce fait, la rédaction de la nouvelle Constitution. Ce qui amène le parti islamiste à composition, entraîne la démission du gouvernement Ali Laarayedh et l’arrivée aux affaires de celui des technocrates, formé par Mehdi Jomaa qui avait été coopté par le dialogue national.

« Quand le pays s’est trouvé en crise, une seule personne s’est levée pour déclarer à la télévision pour déclarer : “Je n’accepte pas que les Tunisiens soient séparées par des fils barbelés au Bardo”. Les gens ne doivent pas oublier cela, car c’est ce geste qui a permis le véritable démarrage du dialogue national », défend le successeur de Ben Jaafar à la tête d’Ettakatol.

Toutefois, ce geste qui a rendu ce dénouement heureux possible n’aurait peut-être pas été possible sans les pressions internes et externes exercées sur l’homme du Bardo. Et sans les nombreuses démissions dont son parti a pâti.

De toutes les défections, une en particulier a dû affecter particulièrement Mustapha ben Jaafar. C’est celle de Mohamed Bennour, son compagnon depuis l’époque du Mouvement des démocrates socialistes (MDS).

Très étroits pendant les années de galère, les rapports entre les deux hommes se dégradent lorsque leur parti arrive au pouvoir. Malgré cela, Mohamed Bennour hésitera longtemps à « tuer », non pas le père, mais l’ami de quarante ans.

Certes, en décembre 2014, il abandonne ses fonctions de porte- parole parce qu’il ne peut « plus défendre une position et une ligne qui sont en contradiction avec mes convictions. C’est pourquoi, je renonce à mes fonctions de porte-parole , révèle Mohamed Bennour. Changements. En particulier, il trouve « inacceptable de voir Nida Tounès sans tirer enseignement des changements profonds inter- venus en Tunisie » au lendemain des élections de 2014.

Il considère que leur parti « qui était toujours pour le dialogue ne peut pas s’inscrire dans une rupture avec Nidaa ».

En 2015, alors qu’un énième groupe claque la porte du parti, le porte-parole minimise un l’incident et sa portée. Tout en déplorant « une grande perte », il déclare que « ces démissions étaient attendues en considération de la phase de refondation et de restructuration que traverse actuellement le parti » et exhorte cadres et militants « à resserrer les rangs ». Pourtant, à ce moment-là, M. Bennour n’était plus porte-parole.

La rupture entre les compagnons de route survient quelques mois plus tard en 2016, Mohamed Bennour démissionne d’Ettakatol en reprochant à son chef de ne pas avoir tiré les leçons de la défaite « cuisante aux élections législatives et présidentielle de 2014 » et réforme le parti en conséquence.

L’ancien porte-parole enfonce le clou en soutenant : « Avec sa direction affaiblie et dans son état actuel, le parti est incapable de demeurer au diapason de son époque. » Un appel clair à un chan- gement à la tête d’Ettakatol. Même s’il a fini par accepter de céder le fauteuil de secrétaire général d’Ettakatol, Mustapha ben Jaafar demeure convaincu d’avoir pris les bonnes décisions lorsqu’il était au pouvoir.

À ce jour, il soutient mordicus que « la concorde était la voie la plus sûre pour surmonter les crises vécues par notre pays » et qu’elle « a servi de base au dialogue national qui a permis de sortir la .

Dans son discours d’adieu, en couverture du troisième congrès du parti, il clame haut et fort qu’Ettakatol, donc lui-même, y a joué un rôle primordial dès le début et en particulier depuis le 6 août 2013, quand le président de l’ANC a pris l’initiative de suspendre les travaux de l’Assemblée nationale constituante.

« En cet instant, se remémore-t- il, j’ai choisi d’être le représentant de tous les Tunisiens et non pas le secrétaire général de mon parti. Et c’est là une réponse à tous ceux qui m’ont accusé de dépendance ou de servir un agenda partisan étriqué. J’ai choisi la Tunisie comme unique parti depuis mon entrée sur la scène militante et politique », se défend-il. « Mustapha ben Jaafar a joué un rôle central comme président de l’ANC. Nous avons œuvré pour la stabilité du pays » Khelil Ezzaouia.

Néanmoins, même s’il en impute la responsabilité au parti dans son ensemble et non à son seul secrétaire général, M. Ezzaouia estime que des erreurs ont été commises. La première est d’avoir négligé le parti après l’entrée au gouvernement. La deuxième est de ne pas avoir été assez exigeants avec Ennahdha, leur partenaire dominant au sein de la Troïka.

En quittant la direction de son parti, Mustapha ben Jaafar met-il aussi un terme à sa carrière et à son moins sûr, tant ce médecin et la politique forment un couple inséparable. Conseiller. « M. Mustapha ben Jaafar est toujours membre du parti. Il n’y assume plus de responsabilités, mais il jouit toujours du respect de tous ses militants », observe le nouveau président d’Ettakatol. Son rôle sera celui de « quelqu’un d’expérimenté qui peut conseiller. Nous pouvons avoir besoin de lui dans certaines situations. La Tunisie elle-même peut avoir besoin de lui ».

Cela tombe bien puisque l’ancien secrétaire général ne semble avoir l’intention de prendre sa retraite politique. Dans son adresse au troisième congrès, il a annoncé que « le combat pour les libertés et la démocratie est un travail quotidien et inlassable, dont l’intensité ne doit pas baisser.

« Aussi, avons-nous pris l’engagement de continuer à militer pour mettre la transition démocratique sur la bonne voie, pour crédibiliser le dispositif électoral dans notre pays, et y enraciner les libertés publiques et individuelles et la démocratie, avec tous ceux qui croient en ces valeurs (...) »

Le nouveau Mustapha ben Jaafar est déjà arrivé.

lundi 26 février 2018

Sonia Krimi Un destin franco-tunisien

Sonia Krimi
Sonia au parlement dans l'hémicycle


La voix qui d’ordinaire bute sur son bégaiement n’a pas tremblé. « Tous les étrangers de France ne sont pas des terroristes, lance-t-elle. Tous les étrangers de France ne sont pas d’indélicats fraudeurs aux aides sociales. » Ce mardi 19 décembre 2017, à l’Assemblée nationale, Sonia Krimi, députée La République en marche (LRM) de la 4e circonscription de la Manche, pose, fiches en mains, sa première question au gouvernement. Une intervention adressée au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, à propos du projet de loi asile-immigration, deux mois avant sa présentation en conseil des ministres, le 21 février.

«Les centres de rétention sont devenus des centres de détention et sont indignes de notre République », poursuit la députée, le ton haut, sous les applaudissements de La France insoumise et les hésitations de ses camarades de banc. Ces deux minutes en solo lui vaudront d’être qualifiée de « première frondeuse de la majorité», la première tête à dépasser dans un collectif d’anonymes peinant à se départir de son image de « godillot ». Dans sa réponse, Gérard Collomb fait fi de la sévérité de la question, préférant saluer son «très beau parcours ». « J’aimerais que beaucoup de jeunes, demain, aient le même», poursuit le ministre dans l’Hémicycle.

Il y a mille manières d’entrer dans l’histoire de cette élue pétillante et volubile, née à Tunis en 1982, française depuis 2012, députée depuis huit mois. Pour son ami le philosophe Pascal Bruckner, elle serait « l’anti-Bourdieu », l’incarnation d’une génération qui a échappé à la reproduction sociale. «Je l’accepte avec plaisir », confie la trentenaire, en chemisier blanc et tailleur sombre. Son itinéraire est celui d’une enfant de la méritocratie, de part et d’autre de la Méditerranée. L’aînée de cinq filles élevées par un père ouvrier chez Peugeot à Tunis et une mère au foyer. Une passionnée de livres, «tombée amoureuse de la langue française en lisant Voyage au bout de la nuit, de Céline», qui opte pour des études de commerce en Tunisie et enchaîne avec une double maîtrise et un doctorat à Toulon.

« MIGRANTE ÉCONOMIQUE »

Son parcours y devient intimement lié aux grands débats sur l’immigration et l’intégration en France. «Je me considère comme une “migrante économique” », dit-elle aujourd’hui en dessinant des guillemets avec ses doigts. Etudiante, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur lui avait accordé une bourse pour financer sa thèse en sciences économiques sur les pôles de compétitivité. «Vous vous rendez compte ? Un Etat qui subventionne le doctorat d’une étrangère ! » Elle en acquiert une conviction sur son pays d’accueil : « En France, quand vous êtes étranger, que vous arrivez et que vous n’avez pas d’argent, on ne vous laisse pas tomber. » Ses yeux s’illuminent de la « fierté » de payer des impôts, elle qui, étudiante, avait du mal à croire que la Caisse d’allocations familiales puisse lui accorder des aides «alors que [s]es parents n’ont jamais cotisé en France ».

Quand elle arrive à Paris comme enseignante en management, comptabilité et stratégie d’entreprise à la faculté d’Assas, cette ascension séduit une petite élite d’intellectuels, conseillers politiques et hauts fonctionnaires prêts à la prendre sous leur aile. Olivier Binst, conseiller français du gouvernement de transition tunisien après la chute de Ben Ali en 2011, la repère lors d’une réception organisée par une fondation pour l’éducation des filles tunisiennes et décide de la convier à ses dîners en ville.

Avant de la présenter à Pascal Bruckner, il prévient : « Tu verras, c’est la nouvelle Tunisie, il faut que l’on soutienne ce camp-là. » Tous deux s’accordent ensuite pour présenter cette « jeune Maghrébine qui dément tous les clichés habituels » à l’un de leurs amis : Manuel Valls. Le hasard veut que ce soit lui, fraîchement nommé au ministère de l’intérieur, qui ait signé le décret de naturalisation de la Franco-Tunisienne. Le rapport de la jeune femme à l’islam plaît à cette élite très stricte sur le sujet de la laïcité. «Il était hors de question que ses sœurs se voilent», se souvient Olivier Binst. Sonia Krimi admet entretenir, depuis son adolescence, une forme de scepticisme à l’égard de la religion : « Petite, je posais des questions, je demandais: “Vous êtes sûrs que tous les chrétiens vont en enfer ?” et je me prenais des gifles. »

La trentenaire n’est cependant pas complètement en phase avec ce que ses amis voudraient voir en elle. A eux, comme aux électeurs d’extrême droite rencontrés dans sa circonscription toujours prêts à lui glisser qu’elle n’est « pas comme les autres » – sous-entendu, les « autres Arabes » –, elle répète que « ce sont eux qui ne connaissent pas d’autres Arabes” ». « Il y a un racisme d’ignorance en France », se désole-t-elle, tout en restant très ferme sur la question de l’intégration. « Quand on s’installe dans un pays, il faut s’ouvrir; ce n’est pas normal, quand on a passé vingt ans ici, de ne toujours pas parler le français», assène-t-elle.

A son grand regret, sa naturalisation est arrivée trop tard pour qu’elle puisse voter à la présidentielle de 2012. La jeune femme suit alors de près l’actualité politique française. Le grand malaise de la gauche sur les questions d’identité après les attentats de 2015 l’éloigne progressivement du Parti socialiste, en particulier lors du débat sur la déchéance de nationalité. Un homme retient son attention : Emmanuel Macron. «Il a été le seul à dire, contrairement à Manuel Valls, que chercher à expliquer la radicalisation des djihadistes, ce n’était pas leur pardonner », dit la députée.

Sonia Krimi se rapproche alors d’En marche!, à Paris, où elle est domiciliée. Mais c’est dans la Manche qu’elle passe l’essentiel de son temps professionnel. Depuis quelques années, elle a changé de métier pour devenir « cost killer » au service de grandes entreprises. Sa mission : former les salariés à l’optimisation de la production. Parmi ses clients figurent les sites d’Areva et de Naval Group sur le littoral du Cotentin. Dès lors, elle décide d’installer également sa vie militante à Cherbourg et rejoint un comité local d’En marche ! à quelques mois de la présidentielle de 2017.

Son histoire y devient celle d’un improbable scénario électoral, à l’issue duquel elle rafle, en juin, la circonscription du premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Improbable car c’est en dissidente qu’elle se présente au scrutin et qu’elle remporte, au second tour, un duel 100 % macroniste. Fâchés de l’investiture sous l’étiquette LRM d’un juppéiste, Blaise Mistler, des « marcheurs» ont encouragé Sonia Krimi à aller au combat. Sa victoire est d’autant plus atypique qu’elle est permise, entre autres, par l’appel de la droite locale à voter en sa faveur. Une manière de se venger de Blaise Mistler, ancien Les Républicains (LR) qui, lors d’autres scrutins, s’était présenté en dissident contre les appareils locaux. Sonia Krimi est néanmoins, selon Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po, la députée LRM la plus mal élue, envoyée à l’Assemblée par à peine plus de 11 % des inscrits de la circonscription.

De cette campagne menée «le couteau entre les dents », selon un « marcheur », Sonia Krimi et les militants cherbourgeois gardent la complicité des survivants. Quand elle les retrouve sur le marché de Cherbourg, un samedi de janvier, la députée les embrasse en les saisissant par les épaules, comme on le fait avec des amis chers. Aux «marcheurs» comme aux citoyens croisés, elle distribue les sourires, elle prend des mains, éclate de rire. Sa bonne humeur communicative lui a permis de se faire adopter par les locaux, notamment par une bande de sexagénaires de La Hague, devenus de fervents soutiens durant la campagne. Quand elle le peut, à l’heure des paris pour le quinté, elle leur apporte des croissants au PMU de la commune où se trouve l’usine de retraitement de déchets nucléaires. « Elle nous change des vieux papis qu’on avait avant », raconte l’un d’eux, maire d’une petite commune.

UN « VRAI STATUT » POUR LES SANS-PAPIERS

Depuis qu’elle est élue, ses amis intellos parisiens ont un peu moins de ses nouvelles. Ils ont aussi décelé chez elle des signes de prise de distance vis-à-vis de leurs propres idées. « J’ai vu qu’elle s’affichait avec Jean-Louis Bianco, cela me chagrine un peu », dit Pascal Bruckner, alors que le président de l’Observatoire de la laïcité est la cible privilégiée de cette frange intellectuelle et politique convaincue qu’il est trop accommodant avec l’islam. La députée se dit, elle, en accord avec sa « vision basique de la laïcité mais qui laisse sa place à l’autre». Sur la politique migratoire non plus, Sonia Krimi n’est pas sur la même ligne depuis qu’elle a affirmé ses désaccords avec Gérard Collomb. « Il est hors de question qu’il y ait des mineurs dans les centres de rétention », prévient-elle, tout en exprimant ses « doutes sur l’efficacité de l’extension de la durée d’accueil en centre de rétention qui est prévue dans le texte». Elle défend aussi la mise en place d’un « vrai statut » pour les sans-papiers « avec des droits et des devoirs » et plaide pour «qu’on ouvre les tuyaux de l’immigration légale ».

Aujourd’hui, Sonia Krimi place dans son panthéon personnel Christiane Taubira et l’écrivaine Fatou Diome. « Je suis très inspirée par ces gens qui ont des racines parce qu’ils savent d’où ils viennent», déclare-t-elle. A l’Assemblée, elle partage un assistant parlementaire avec son voisin de bureau, le député de la Vienne Jean-Michel Clément. Cet ancien socialiste rallié à Emmanuel Macron fait partie des voix les plus critiques de la politique d’accueil des migrants en France. Il est aussi l’un des membres actifs du « pôle social », l’aile gauche de la majorité pilotée par une autre ancienne socialiste, Brigitte Bourguignon. Un collectif que Sonia Krimi a rejoint en fin d’année.

Localement, certains craignent que ses prises de position ne la marginalisent et ne pénalisent la circonscription à terme. « Elle a beaucoup de charme, mais elle est en apesanteur», grince un parlementaire de la Manche qui ne voit pas en elle une « femme politique ». Sur les réseaux sociaux, certains opposants raillent son accent maghrébin ou ses déclarations parfois approximatives. Ses proches, eux, s’efforcent de « cadrer » celle qui a parfois tendance à exprimer un peu trop directement ses vues. «Quand un texte est bon, on n’a pas besoin de parler fort», lui avait conseillé Richard Ferrand, président du groupe LRM à l’Assemblée, au soir de sa question à Gérard Collomb.

Parler fort lui a cependant valu une petite notoriété dans la Manche. Au PMU de La Hague où il finit son café avec les turfistes, un client l’interpelle. « Mme Krimi ? Je suis content de vous voir, je n’ai pas voté pour vous mais je le regrette, j’aurais dû m’intéresser à vous avant », confesse ce sympathisant socialiste. Croix de bois, croix de fer, la députée assure qu’elle n’avait aucune intention ni d’attirer la lumière sur elle ni de semer la zizanie dans un groupe où la règle est de taire ses désaccords en public. Mais elle précise : « C’est notre capacité de débat qui fera qu’il n’y aura pas de fronde. » Avec ce vœu pour l’avenir : « Je n’ai pas envie que l’on parle de la France dans cent cinquante ans comme d’un pays qui n’a pas su accueillir. »

samedi 24 février 2018

En Tunisie, la quête de respectabilité des islamistes d’Ennahda

C'était le 15 février, au cœur du quartier du Bardo, à Tunis, ciel noir et chaussées mouillées. Dans la salle des pas perdus de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Naoufel Jammali, un échalas au verbe délié, évoquait l’évolution doctrinale de son parti, Ennahda, le mouvement islamiste tunisien. Président de la commission des droits, des libertés et des relations extérieures de l’ARP, l’homme est au carrefour de bien des débats agitant la jeune démocratie tunisienne, seule rescapée de la vague des «printemps arabes». Ce jour-là, il s’expliquait sur l’opposition de son parti à une proposition de loi visant à «criminaliser » les relations avec Israël et dont la discussion a été repoussée sine die par sa commission. Au centre de ses préoccupations : le sort des investissements étrangers en Tunisie qui, s’alarmait-il, pourraient être affectés si une telle loi devait être votée. « Il faut protéger les intérêts supérieurs de l’économie tunisienne », affirmait-il. « Nous [les partisans d’Ennahda], ajoutait-il, sommes toujours présents là où l’on ne nous attend pas. »

Quelques jours plus tard, la formule a pris tout son sens. Un porte-parole d’Ennahda annonçait qu’un juif tunisien, Simon Slama serait candidat sur une liste du parti islamiste à Monastir (côte orientale), à l’occasion des élections municipales du 6 mai. La nouvelle a fait sensation en Tunisie, et au-delà. On n’attendait pas » Ennahda sur ce terrain de la séduction de la communauté juive tunisienne. Tout comme on ne l’« attendait pas » sur le front des droits des femmes. En juillet 2017, le parti a soutenu l’adoption d’une loi réprimant les violences faites aux femmes. En ce qui concerne la perspective d’instaurer l’égalité entre hommes et femmes en matière d’héritage, un objectif que s’est fixé le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, M. Jammali affirme: «Nous sommes prêts à en débattre dans un climat serein et démocratique. »

Jusqu’où Ennahda ira-t-il dans sa mue doctrinale ? Le parti évolue par petites touches. La logique de cette mutation est limpide: la quête de la respectabilité, notamment au niveau international, afin d’effacer les stigmates de ses accointances passées avec certains groupes salafistes radicaux. Le grand tournant a été formalisé en mai 2016, lors d’un congrès à Hammamet, à l’issue duquel Ennahda s’est redéfini comme un parti « civil », « spécialisé » sur la seule action politique et délesté de ses activités traditionnelles de prédication religieuse (dawa). Désireux d’apparaître comme pleinement « tunisien », Ennahda proclame qu’il a cessé d’être la branche locale de l’internationale des Frères musulmans. Et s’il admet toujours l’islam comme « référentiel », il veut tourner la page de l’islam politique », refusant même d’être qualifié d’« islamiste». Il endosse plus volontiers le label de « démocrate-musulman », à l’image des « démocrates-chrétiens » européens.

Une telle mutation est le produit de la grave crise de l’été 2013, qui avait propulsé la Tunisie au bord de la guerre civile. A l’époque, Ennahda, qui dominait la coalition au pouvoir – la « troïka » –, était défié par une rue en colère qui lui reprochait sa complicité avec la montée de la violence salafiste. Au même moment, le président égyptien, Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, était renversé par un coup d’Etat. Face à cette géopolitique régionale devenue défavorable, Ennahda a opté pour la survie immédiate, une attitude inspirée par la mémoire encore fraîche de la répression subie sous la dictature de Ben Ali.

«IL N’Y A PLUS DE TABOU»

Aussi le parti a-t-il accepté – non sans mal – de négocier avec ses adversaires tunisiens de Nidaa Tounès, un front hostile à l’islam politique regroupant démocrates progressistes et réseaux issus de l’ancien régime de Ben Ali. La rencontre du 14 août2013, à l’Hôtel Bristol, à Paris, entre Béji Caïd Essebsi, le fondateur de Nidaa Tounès, et Rached Ghannouchi, le patron d’Ennahda, a jeté les bases d’une réconciliation entre les deux camps. Celle-ci prendra la forme, début 2015, au lendemain de la victoire de Nidaa Tounès aux élections législatives et présidentielle, d’une coalition gouvernementale venant d’entrer dans sa quatrième année.

Une telle conversion au pragmatisme d’Ennahda n’a pas fait disparaître les suspicions à son encontre. Dans le camp hostile à l’islam politique, certains doutent encore de la «sincérité» de cette évolution. Selon eux, le positionnement d’Ennahda relève du simple opportunisme, dicté par les rapports de forces politiques, et est réversible dans un contexte différent. Simultanément, l’attitude d’Ennahda au sein de la coalition au pouvoir, marquée par une loyauté confinant au suivisme vis-à-vis de Nidaa Tounès, a consolidé son crédit de « parti de gouvernement », au risque de lui aliéner certaines franges de son électorat.

Sachant qu’il est toujours sous surveillance, Ennahda a multiplié les concessions afin de faire mentir les critiques à son encontre. Il était aux premières loges, en janvier, pour défendre le gouvernement confronté à l’agitation sociale. « Il n’y a plus de tabou », affirme M. Jammali, y compris pour l’amnistie de cadres de l’ancien régime impliqués dans les malversations de l’époque. On dirait Ennahda métamorphosé en simple parti conservateur à la tunisienne, partisan à la fois du statu quo social et d’un certain progressisme sociétal hérité de Habib Bourguiba. Mais qu’une évolution aussi significative se produise sans turbulences au sein de son appareil dirigeant, sans départs ni dissidences, révèle un fonctionnement vertical susceptible de nourrir des interrogations. La « normalisation » d’Ennahda n’en est qu’à ses prémices.

vendredi 16 février 2018

La peur de la contagion

Retour djihadiste


Début 2017, les Tunisiens ont clamé leur refus d’un retour des djihadistes qui avaient rejoint Daech. Les autorités affirmaient alors tout savoir sur les 2 926 Tunisiens liés au terrorisme, ce qui n'etait au final qu'une mesonge de plus.
Or, en 2015, un rapport des Nations unies avait révélé qu’ils étaient plus de 5 000.
En décembre, la députée Leila Chettaoui, présidente de la Commission parlementaire qui enquête sur les flières djihadistes, alertait sur les ondes de Shems FM : des combattants rentrés au pays “sont dans la nature et personne ne peut les identifer”.

L’universitaire Emna Ben Arab avance, elle, que de nombreux djihadistes sont en détention. “Ils reçoivent des visites de la part de leurs proches et jouissent d’un système de soutien psychologique et matériel.”
“Les centres de réhabilitation ont un coût et le pays n’a pas cet argent. Il n’y a aucune trace d’un projet de déradicalisation”, souligne Badra Gaaloul, la présidente du Centre international d’études stratégiques sécuritaires et militaires, dans Al-Araby Al-Jadid. “En Tunisie, il s’agit de 900 détenus, alors que près de 3 000 autres seraient de retour”, explique-t-elle. Ces détenus auraient fait des émules et au moins 27 000 jeunes seraient sur la voie de la radicalisation. “L’histoire nous a déjà montré que la prison n’était pas une solution. C’est plutôt un vivier pour les recruteurs. La Tunisie n’est pas prête pour le retour des djihadistes.”
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