En Tunisie, les Occidentaux doivent changer de logiciel
A l’approche de la présidentielle du 15 septembre, l’ancien chef de l’Etat tunisien appelle l’Europe
à agir pour que les difficultés économiques n’aient pas raison de la démocratie dans son pays.
Les grandes démocraties occidentales se sont toujours bien entendues avec les dictatures contre lesquelles les peuples arabes se sont insurgés en 2011. Seules étaient exemptées de leur bienveillance les dictatures hors contrôle comme l’irakienne ou la libyenne. On se souvient du sort qui leur a été fait.
Durant la période qui a précédé le « printemps arabe », nous, opposants démocrates, étions regardés par les officiels occidentaux avec une condescendante sympathie, non dénuée d’un fond de racisme culturel : « Allons donc, un peu de sérieux, ils sont bien sympathiques ces gens là, mais les Arabes, de surcroît musulmans, ne sauraient vivre en démocratie. »
Le « printemps arabe », défait mais non vaincu, et se poursuivant aujourd’hui au Soudan et en Algérie, n’a pas vraiment fait bouger les lignes, et encore moins amené certains dirigeants occidentaux à changer de logiciel.
Leur appui à des révolutions authentiquement démocratiques n’a été ni franc ni massif, mais plutôt timide, contraint et empreint d’une certaine gêne. Qu’est ce que cette démocratie bizarre qui amène au pouvoir des islamistes et leurs complices laïques ?
Processus interdépendants
Le retour en force de la contrerévolution, notamment en Egypte, a permis aux grands Etats occidentaux de revenir tranquillement aux constantes de leur politique arabe : ventes d’armes, soustraitance de la guerre contre le terrorisme et l’émigration illégale, impasse sur les droits de l’homme en général et ceux du peuple palestinien en particulier. « Business as usual. »
Mais quels sont les coûtsbéné fices réels d’une telle politique aussi bien pour les peuples arabes que pour les peuples occidentaux ?
Les processus de démocratisation au nord et au sud de la Méditerranée ont été considérés comme distincts et indépendants. Au Nord, l’histoire aurait parachevé une fois pour toutes la démocratisation des Etats et des sociétés. Au Sud, elle est à la peine et nul ne sait si le processus va réellement aboutir. En fait, même avant le « printemps arabe », les processus démocratiques, au Nord comme au Sud, étaient bien plus interdépendants qu’on ne l’admettait.
Il est évident que les politiques occidentales d’appui aux dictatures arabes font un tort considérable à nos peuples en freinant leur propre processus de démocratisation, voulu et conduit par une jeunesse des plus connectées et des plus modernes du monde. Moins bien perçu est le tort considérable porté à la démocratie occidentale elle même par ces mêmes politiques.
Aujourd’hui, on voit en Europe et aux EtatsUnis la brusque montée des droites extrêmes, notoirement antidémocratiques. De quoi se nourrit essentiellement cette vague ? Bien sûr, des difficultés économiques et sociales des sociétés en question, mais aussi, et de plus en plus, de la peur du terrorisme et de la phobie du « grand remplacement » par l’émigration légale ou clandestine.
Or, que sont ces deux menaces, sinon les produits directs de l’échec politique et économique des dictatures arabes portées à bout de bras par des démocraties occidentales obnubilées par des bénéfices à court terme et ignorant les énormes effets pervers à moyen et à long terme ? Postuler que les partis d’extrême droite, nourris et engraissés par les peurs du terrorisme et de l’« invasion », constituent un danger mortel pour les démocraties occidentales est certainement exagéré. Mais de tels partis peuvent les affaiblir et, surtout, les déconsidérer aux yeux d’un monde où les Occidentaux ont cessé d’avoir le beau rôle et les coudées franches.
Qui peut contester le fait que plus les démocraties occidentales appuient des régimes vivant de la corruption et de la répression, générant donc plus de terrorisme et d’émigration sauvage, plus elles renforcent leurs droites extrêmes et plus elles affaiblissent leurs propres démocraties, tout en ruinant nos chances de bâtir des Etats de droit et des sociétés pacifiées ? Nous voilà tous embarqués dans un terrible cercle vicieux.
Il est clair aujourd’hui que défendre la démocratie au Sud, c’est la défendre au Nord et vice versa. Aussi, l’intérêt bien compris des Occidentaux est d’arrêter leur soutien inconditionnel à des dictatures de toute façon en sursis. Leur intérêt bien compris est de faire pression sur leurs clients afin qu’ils entreprennent les réformes démocratiques et de justice sociale, seules capables d’enrayer le terrorisme et l’émigration.
Leur intérêt est aussi de soutenir les démocraties en pleine croissance, comme la démocratie tunisienne. Etranglée par la dette, anémiée par la faiblesse de ressources douanières imposées par les accords avec l’Europe, saignée à blanc par la corruption d’élites bien en cour dans les capitales occidentales pour leur « modernisme », la Tunisie s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise à la grecque, mais sans le filet protecteur de l’Union européenne.
Or une telle crise, mise par une partie de la population sur le compte de la révolution, risque de faire avorter tout le processus démocratique, pourtant bien avancé, et de nous ramener à la case départ et à un nouveau cercle vicieux: régime fort, répression, corruption, terrorisme, émigration, révolution, etc.
Si l’Europe veut que la Tunisie reste cette bonne école de la démocratisation et serve d’exemple à d’autres peuples arabes, il lui faut en urgence effacer sa dette et la transformer en projets de développement, alléger momentanément ses conditions d’accès au marché européen, se montrer intransigeante avec la corruption. Sinon, les coûts vont devenir de plus en plus prohibitifs et les bénéfices de plus en plus aléatoires, et ce, pour tous les protagonistes.
Les processus de démocratisation au nord et au sud de la Méditerranée ont été considérés comme distincts et indépendants. Au Nord, l’histoire aurait parachevé une fois pour toutes la démocratisation des Etats et des sociétés. Au Sud, elle est à la peine et nul ne sait si le processus va réellement aboutir. En fait, même avant le « printemps arabe », les processus démocratiques, au Nord comme au Sud, étaient bien plus interdépendants qu’on ne l’admettait.
Il est évident que les politiques occidentales d’appui aux dictatures arabes font un tort considérable à nos peuples en freinant leur propre processus de démocratisation, voulu et conduit par une jeunesse des plus connectées et des plus modernes du monde. Moins bien perçu est le tort considérable porté à la démocratie occidentale elle même par ces mêmes politiques.
Aujourd’hui, on voit en Europe et aux EtatsUnis la brusque montée des droites extrêmes, notoirement antidémocratiques. De quoi se nourrit essentiellement cette vague ? Bien sûr, des difficultés économiques et sociales des sociétés en question, mais aussi, et de plus en plus, de la peur du terrorisme et de la phobie du « grand remplacement » par l’émigration légale ou clandestine.
Or, que sont ces deux menaces, sinon les produits directs de l’échec politique et économique des dictatures arabes portées à bout de bras par des démocraties occidentales obnubilées par des bénéfices à court terme et ignorant les énormes effets pervers à moyen et à long terme ? Postuler que les partis d’extrême droite, nourris et engraissés par les peurs du terrorisme et de l’« invasion », constituent un danger mortel pour les démocraties occidentales est certainement exagéré. Mais de tels partis peuvent les affaiblir et, surtout, les déconsidérer aux yeux d’un monde où les Occidentaux ont cessé d’avoir le beau rôle et les coudées franches.
Crise à la grecque
Qui peut contester le fait que plus les démocraties occidentales appuient des régimes vivant de la corruption et de la répression, générant donc plus de terrorisme et d’émigration sauvage, plus elles renforcent leurs droites extrêmes et plus elles affaiblissent leurs propres démocraties, tout en ruinant nos chances de bâtir des Etats de droit et des sociétés pacifiées ? Nous voilà tous embarqués dans un terrible cercle vicieux.
Il est clair aujourd’hui que défendre la démocratie au Sud, c’est la défendre au Nord et vice versa. Aussi, l’intérêt bien compris des Occidentaux est d’arrêter leur soutien inconditionnel à des dictatures de toute façon en sursis. Leur intérêt bien compris est de faire pression sur leurs clients afin qu’ils entreprennent les réformes démocratiques et de justice sociale, seules capables d’enrayer le terrorisme et l’émigration.
Leur intérêt est aussi de soutenir les démocraties en pleine croissance, comme la démocratie tunisienne. Etranglée par la dette, anémiée par la faiblesse de ressources douanières imposées par les accords avec l’Europe, saignée à blanc par la corruption d’élites bien en cour dans les capitales occidentales pour leur « modernisme », la Tunisie s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise à la grecque, mais sans le filet protecteur de l’Union européenne.
Or une telle crise, mise par une partie de la population sur le compte de la révolution, risque de faire avorter tout le processus démocratique, pourtant bien avancé, et de nous ramener à la case départ et à un nouveau cercle vicieux: régime fort, répression, corruption, terrorisme, émigration, révolution, etc.
Si l’Europe veut que la Tunisie reste cette bonne école de la démocratisation et serve d’exemple à d’autres peuples arabes, il lui faut en urgence effacer sa dette et la transformer en projets de développement, alléger momentanément ses conditions d’accès au marché européen, se montrer intransigeante avec la corruption. Sinon, les coûts vont devenir de plus en plus prohibitifs et les bénéfices de plus en plus aléatoires, et ce, pour tous les protagonistes.