dimanche 11 février 2018

A Doha, les Tunisiens comme des coqs en pâte

LA TUNISIE À L’HEURE DU MONDIAL


La sélection a débuté sa préparation lors d’un stage tous frais payés par le Qatar.

Pendant six mois, le pays va accompagner la Tunisie sur la route de la Coupe du monde de football, qui aura lieu du 14 juin au 15 juillet en Russie. Chaque mois, notre envoyé spécial auprès de la sélection tunisienne abordera un aspect différent du contexte dans lequel se prépare une équipe dont la dernière participation au Mondial remonte à 2006.

Une immense tour, en forme de torche olympique, qui semble ne jamais finir. L’impression qui saisit le visiteur à la vue de cette construction atypique, conçue pour les Jeux asiatiques de 2006, est à la hauteur de la réputation de Doha. En plein cœur de l’Aspire Zone, sorte d’immense eldorado pour sportifs, The Torch illumine la nuit qatarie avec ses milliers d’ampoules violettes, roses et bleues. La brochure de cet établissement cinq étoiles annonce la couleur avec emphase : « Avec ses 300 mètres de haut et ses vues panoramiques à 360 ° sur tout Doha, The Torch est un paradis pour les voyageurs exigeants, qu’il s’agisse de sportifs ou de personnes en quête de santé ou de bien-être. » En cette année de Coupe du monde, l’équipe nationale de Tunisie, qui affrontera notamment l’Angleterre et la Belgique au premier tour, ne manque en effet pas d’exigences. Du 1er au 18 janvier, les footballeurs tunisiens ont pris leurs quartiers au Torch pour leur premier stage de préparation au cinquième Mondial de leur histoire. Deux semaines intensives durant lesquelles ils ont bénéficié d’infrastructures rivalisant de modernité, à l’image de la célèbre clinique du sport Aspetar. Mardi 9 janvier, les joueurs tunisiens s’entraînent sur le terrain numéro 8 du complexe Aspire. Les consignes du sélectionneur Nabil Maâloul ne couvrent pas le chant des oiseaux diffusé par les haut-parleurs. Une trentaine de spectateurs est venue assister à la séance. Lors des premiers entraînements, effet de mode, ils étaient 1 500 à 2 000. Il faut dire que la communauté tunisienne, forte de 26 000 ressortissants, est l’une des plus importantes de Doha.

Sélectionneur en terrain connu 

Au pays, le choix du lieu de ce premier stage a divisé. Sans oublier que seuls les joueurs « locaux », ceux qui évoluent dans le championnat tunisien, ont pu être mobilisés. Ainsi, le quotidien La Presse de Tunisie se montrait persifleur : « Aller jusqu’à Doha pour préparer physiquement les joueurs locaux est, franchement, insensé. » Présentateur de la chaîne qatarie Al-Kass, le journaliste tunisien Haykel Chaari, qui tourne un documentaire sur la préparation des Aigles de Carthage, résume à sa manière les deux points de vue qui s’opposent : « Les uns estiment que c’est une bonne chose de faire profiter la sélection d’une pause du championnat pour organiser un rassemblement. Les autres estiment que cela ne sert à rien sans les joueurs qui évoluent à l’étranger. » Initialement, deux destinations étaient en concurrence mais la délocalisation du Kenya au Maroc du Chan, Championnat d’Afrique des nations, a rendu impossible le choix de Marrakech. « On a donc opté pour la proposition du Qatar. En plus, les conditions climatiques en cette période sont sensiblement identiques à ce que l’on verra en Russie en juin », défend Bilel Foudhaili, membre du bureau de la Fédération tunisienne de football (FTF). Hormis les billets d’avion, la FTF n’a pas eu un riyal qatari à débourser pour ce séjour à six heures de vol de Tunis. La délégation tunisienne a été complètement prise en charge. Alors que la Tunisie vit une crise sociale et économique qui s’éternise, marquée par des manifestations parfois violentes, l’argument ne peut laisser insensible. « Le rassemblement nous aurait coûté plus cher en Tunisie. Les journalistes auraient bien aimé avoir les joueurs sous les yeux. Ces critiques relèvent du dépit amoureux », taquine le dirigeant. Au Qatar, Nabil Maâloul était en terrain connu. Il a entraîné en 2014 le club d’Al Jaish et il est toujours consultant pour la chaîne beIN Sports Mena, diffusée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Après la qualification acquise en novembre dernier, son message en faveur de la levée de l’embargo qui frappe le Qatar avait suscité la polémique.

L’entregent qatari du sélectionneur tunisien a certainement facilité l’opération mais il ne fait pas tout. Le Maroc, autre équipe arabe qualifiée au Mondial, a également reçu une invitation. Droit dans ses bottes, l’ex-international de 55 ans revendique son franc-parler et se félicite d’avoir pu débuter aussi tôt sa préparation. « Je remercie le président de la Fédération qui a arrêté le championnat. Je n’ai pas d’inquiétude pour les joueurs de l’étranger, qui sont prêts physiquement, mais ce stage me permet de débuter la remise à niveau athlétique des joueurs locaux », explique-t-il. L’ancien joueur de l’Espérance sportive de Tunis et d’Hanovre en Bundesliga ne laisse rien passer à ses troupes. Il manie la carotte et le bâton, renvoyant par exemple deux de ses joueurs en short se rhabiller pour le dîner et prenant lui-même la photo d’un fan avec l’un de ses protégés. « Si tu laisses filer quelque chose, c’est foutu. Ce sont les petits détails qui font la différence pour se rapprocher du haut niveau. Ils l’ont pris avec le sourire. Je suis un peu comme leur père. » Sur les 25 joueurs présents dans la capitale qatarie, plus d’une dizaine risque bien de ne pas constater la légendaire bonhomie des douaniers russes. Né à Lyon, révélé à Mouscron en Belgique mais joueur de l’Espérance depuis 2016, Anice Badri croit en sa bonne étoile : « Il est vrai que certains ne seront pas du voyage mais j’y crois à fond. Même sans les expats, ce stage permet de resserrer les liens et de bosser physiquement. C’est utile car, au contraire de l’Europe, notre championnat se joue sur un rythme haché, entrecoupé de beaucoup d’arrêts de jeu. » Tests physiques dernier cri Le préparateur physique Khalil Jebabli a profité de l’hospitalité qatarie pour mener toute une série de tests physiques dernier cri [pour une valeur estimée à 100 000 euros]. « Ici, c’est la hightech. Grâce à un travail scientifique de pointe, on a récolté des données qui vont permettre aux joueurs de se préparer tout au long de la saison, détaille le jeune homme, venu renforcer le staff en vue du Mondial. Les joueurs locaux doivent avoir conscience de leurs manques pour franchir un palier vers le haut niveau. » Le 22 janvier, une réunion a été organisée avec les préparateurs physiques des clubs de l’élite. Dès la fin du mois, 25 gilets GPS équiperont la sélection afin d’affiner cette préparation athlétique.

Au Qatar, l’équipe de Tunisie a disputé deux matchs face à des clubs locaux (une défaite 1-0 et un succès 6-0) mais n’a pas eu l’occasion de croiser le fer avec d’autres sélections nationales. Un temps pressenti, le Koweït a décliné à cause de la Coupe du Golfe organisée sur son territoire jusqu’au 5 janvier. « Ce n’était pas une période FIFA [temps pendant lequel les clubs ont l’obligation de libérer leurs joueurs pour les sélections nationales]. Lorsque l’on joue un club, on nous critique parce que ce n’est pas une équipe nationale. Si on avait choisi de ne pas jouer, on nous l’aurait reproché aussi. C’est un éternel cassetête », répond Bilel Foudhaili. Après avoir exploré plusieurs pistes sans succès, la Fédération a obtenu récemment des accords pour ses matchs de préparation

Fin mars, la Tunisie va affronter l’Iran à domicile et le Costa Rica à Nice, ville qui compte également une importante communauté tunisienne. En juin, juste avant de s’envoler pour la Russie, c’est l’Espagne qui devrait être au programme. Le test ultime pour juger de la qualité de la préparation des Aigles de Carthage.


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