lundi 26 février 2018

Sonia Krimi Un destin franco-tunisien

Sonia Krimi
Sonia au parlement dans l'hémicycle


La voix qui d’ordinaire bute sur son bégaiement n’a pas tremblé. « Tous les étrangers de France ne sont pas des terroristes, lance-t-elle. Tous les étrangers de France ne sont pas d’indélicats fraudeurs aux aides sociales. » Ce mardi 19 décembre 2017, à l’Assemblée nationale, Sonia Krimi, députée La République en marche (LRM) de la 4e circonscription de la Manche, pose, fiches en mains, sa première question au gouvernement. Une intervention adressée au ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, à propos du projet de loi asile-immigration, deux mois avant sa présentation en conseil des ministres, le 21 février.

«Les centres de rétention sont devenus des centres de détention et sont indignes de notre République », poursuit la députée, le ton haut, sous les applaudissements de La France insoumise et les hésitations de ses camarades de banc. Ces deux minutes en solo lui vaudront d’être qualifiée de « première frondeuse de la majorité», la première tête à dépasser dans un collectif d’anonymes peinant à se départir de son image de « godillot ». Dans sa réponse, Gérard Collomb fait fi de la sévérité de la question, préférant saluer son «très beau parcours ». « J’aimerais que beaucoup de jeunes, demain, aient le même», poursuit le ministre dans l’Hémicycle.

Il y a mille manières d’entrer dans l’histoire de cette élue pétillante et volubile, née à Tunis en 1982, française depuis 2012, députée depuis huit mois. Pour son ami le philosophe Pascal Bruckner, elle serait « l’anti-Bourdieu », l’incarnation d’une génération qui a échappé à la reproduction sociale. «Je l’accepte avec plaisir », confie la trentenaire, en chemisier blanc et tailleur sombre. Son itinéraire est celui d’une enfant de la méritocratie, de part et d’autre de la Méditerranée. L’aînée de cinq filles élevées par un père ouvrier chez Peugeot à Tunis et une mère au foyer. Une passionnée de livres, «tombée amoureuse de la langue française en lisant Voyage au bout de la nuit, de Céline», qui opte pour des études de commerce en Tunisie et enchaîne avec une double maîtrise et un doctorat à Toulon.

« MIGRANTE ÉCONOMIQUE »

Son parcours y devient intimement lié aux grands débats sur l’immigration et l’intégration en France. «Je me considère comme une “migrante économique” », dit-elle aujourd’hui en dessinant des guillemets avec ses doigts. Etudiante, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur lui avait accordé une bourse pour financer sa thèse en sciences économiques sur les pôles de compétitivité. «Vous vous rendez compte ? Un Etat qui subventionne le doctorat d’une étrangère ! » Elle en acquiert une conviction sur son pays d’accueil : « En France, quand vous êtes étranger, que vous arrivez et que vous n’avez pas d’argent, on ne vous laisse pas tomber. » Ses yeux s’illuminent de la « fierté » de payer des impôts, elle qui, étudiante, avait du mal à croire que la Caisse d’allocations familiales puisse lui accorder des aides «alors que [s]es parents n’ont jamais cotisé en France ».

Quand elle arrive à Paris comme enseignante en management, comptabilité et stratégie d’entreprise à la faculté d’Assas, cette ascension séduit une petite élite d’intellectuels, conseillers politiques et hauts fonctionnaires prêts à la prendre sous leur aile. Olivier Binst, conseiller français du gouvernement de transition tunisien après la chute de Ben Ali en 2011, la repère lors d’une réception organisée par une fondation pour l’éducation des filles tunisiennes et décide de la convier à ses dîners en ville.

Avant de la présenter à Pascal Bruckner, il prévient : « Tu verras, c’est la nouvelle Tunisie, il faut que l’on soutienne ce camp-là. » Tous deux s’accordent ensuite pour présenter cette « jeune Maghrébine qui dément tous les clichés habituels » à l’un de leurs amis : Manuel Valls. Le hasard veut que ce soit lui, fraîchement nommé au ministère de l’intérieur, qui ait signé le décret de naturalisation de la Franco-Tunisienne. Le rapport de la jeune femme à l’islam plaît à cette élite très stricte sur le sujet de la laïcité. «Il était hors de question que ses sœurs se voilent», se souvient Olivier Binst. Sonia Krimi admet entretenir, depuis son adolescence, une forme de scepticisme à l’égard de la religion : « Petite, je posais des questions, je demandais: “Vous êtes sûrs que tous les chrétiens vont en enfer ?” et je me prenais des gifles. »

La trentenaire n’est cependant pas complètement en phase avec ce que ses amis voudraient voir en elle. A eux, comme aux électeurs d’extrême droite rencontrés dans sa circonscription toujours prêts à lui glisser qu’elle n’est « pas comme les autres » – sous-entendu, les « autres Arabes » –, elle répète que « ce sont eux qui ne connaissent pas d’autres Arabes” ». « Il y a un racisme d’ignorance en France », se désole-t-elle, tout en restant très ferme sur la question de l’intégration. « Quand on s’installe dans un pays, il faut s’ouvrir; ce n’est pas normal, quand on a passé vingt ans ici, de ne toujours pas parler le français», assène-t-elle.

A son grand regret, sa naturalisation est arrivée trop tard pour qu’elle puisse voter à la présidentielle de 2012. La jeune femme suit alors de près l’actualité politique française. Le grand malaise de la gauche sur les questions d’identité après les attentats de 2015 l’éloigne progressivement du Parti socialiste, en particulier lors du débat sur la déchéance de nationalité. Un homme retient son attention : Emmanuel Macron. «Il a été le seul à dire, contrairement à Manuel Valls, que chercher à expliquer la radicalisation des djihadistes, ce n’était pas leur pardonner », dit la députée.

Sonia Krimi se rapproche alors d’En marche!, à Paris, où elle est domiciliée. Mais c’est dans la Manche qu’elle passe l’essentiel de son temps professionnel. Depuis quelques années, elle a changé de métier pour devenir « cost killer » au service de grandes entreprises. Sa mission : former les salariés à l’optimisation de la production. Parmi ses clients figurent les sites d’Areva et de Naval Group sur le littoral du Cotentin. Dès lors, elle décide d’installer également sa vie militante à Cherbourg et rejoint un comité local d’En marche ! à quelques mois de la présidentielle de 2017.

Son histoire y devient celle d’un improbable scénario électoral, à l’issue duquel elle rafle, en juin, la circonscription du premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve. Improbable car c’est en dissidente qu’elle se présente au scrutin et qu’elle remporte, au second tour, un duel 100 % macroniste. Fâchés de l’investiture sous l’étiquette LRM d’un juppéiste, Blaise Mistler, des « marcheurs» ont encouragé Sonia Krimi à aller au combat. Sa victoire est d’autant plus atypique qu’elle est permise, entre autres, par l’appel de la droite locale à voter en sa faveur. Une manière de se venger de Blaise Mistler, ancien Les Républicains (LR) qui, lors d’autres scrutins, s’était présenté en dissident contre les appareils locaux. Sonia Krimi est néanmoins, selon Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po, la députée LRM la plus mal élue, envoyée à l’Assemblée par à peine plus de 11 % des inscrits de la circonscription.

De cette campagne menée «le couteau entre les dents », selon un « marcheur », Sonia Krimi et les militants cherbourgeois gardent la complicité des survivants. Quand elle les retrouve sur le marché de Cherbourg, un samedi de janvier, la députée les embrasse en les saisissant par les épaules, comme on le fait avec des amis chers. Aux «marcheurs» comme aux citoyens croisés, elle distribue les sourires, elle prend des mains, éclate de rire. Sa bonne humeur communicative lui a permis de se faire adopter par les locaux, notamment par une bande de sexagénaires de La Hague, devenus de fervents soutiens durant la campagne. Quand elle le peut, à l’heure des paris pour le quinté, elle leur apporte des croissants au PMU de la commune où se trouve l’usine de retraitement de déchets nucléaires. « Elle nous change des vieux papis qu’on avait avant », raconte l’un d’eux, maire d’une petite commune.

UN « VRAI STATUT » POUR LES SANS-PAPIERS

Depuis qu’elle est élue, ses amis intellos parisiens ont un peu moins de ses nouvelles. Ils ont aussi décelé chez elle des signes de prise de distance vis-à-vis de leurs propres idées. « J’ai vu qu’elle s’affichait avec Jean-Louis Bianco, cela me chagrine un peu », dit Pascal Bruckner, alors que le président de l’Observatoire de la laïcité est la cible privilégiée de cette frange intellectuelle et politique convaincue qu’il est trop accommodant avec l’islam. La députée se dit, elle, en accord avec sa « vision basique de la laïcité mais qui laisse sa place à l’autre». Sur la politique migratoire non plus, Sonia Krimi n’est pas sur la même ligne depuis qu’elle a affirmé ses désaccords avec Gérard Collomb. « Il est hors de question qu’il y ait des mineurs dans les centres de rétention », prévient-elle, tout en exprimant ses « doutes sur l’efficacité de l’extension de la durée d’accueil en centre de rétention qui est prévue dans le texte». Elle défend aussi la mise en place d’un « vrai statut » pour les sans-papiers « avec des droits et des devoirs » et plaide pour «qu’on ouvre les tuyaux de l’immigration légale ».

Aujourd’hui, Sonia Krimi place dans son panthéon personnel Christiane Taubira et l’écrivaine Fatou Diome. « Je suis très inspirée par ces gens qui ont des racines parce qu’ils savent d’où ils viennent», déclare-t-elle. A l’Assemblée, elle partage un assistant parlementaire avec son voisin de bureau, le député de la Vienne Jean-Michel Clément. Cet ancien socialiste rallié à Emmanuel Macron fait partie des voix les plus critiques de la politique d’accueil des migrants en France. Il est aussi l’un des membres actifs du « pôle social », l’aile gauche de la majorité pilotée par une autre ancienne socialiste, Brigitte Bourguignon. Un collectif que Sonia Krimi a rejoint en fin d’année.

Localement, certains craignent que ses prises de position ne la marginalisent et ne pénalisent la circonscription à terme. « Elle a beaucoup de charme, mais elle est en apesanteur», grince un parlementaire de la Manche qui ne voit pas en elle une « femme politique ». Sur les réseaux sociaux, certains opposants raillent son accent maghrébin ou ses déclarations parfois approximatives. Ses proches, eux, s’efforcent de « cadrer » celle qui a parfois tendance à exprimer un peu trop directement ses vues. «Quand un texte est bon, on n’a pas besoin de parler fort», lui avait conseillé Richard Ferrand, président du groupe LRM à l’Assemblée, au soir de sa question à Gérard Collomb.

Parler fort lui a cependant valu une petite notoriété dans la Manche. Au PMU de La Hague où il finit son café avec les turfistes, un client l’interpelle. « Mme Krimi ? Je suis content de vous voir, je n’ai pas voté pour vous mais je le regrette, j’aurais dû m’intéresser à vous avant », confesse ce sympathisant socialiste. Croix de bois, croix de fer, la députée assure qu’elle n’avait aucune intention ni d’attirer la lumière sur elle ni de semer la zizanie dans un groupe où la règle est de taire ses désaccords en public. Mais elle précise : « C’est notre capacité de débat qui fera qu’il n’y aura pas de fronde. » Avec ce vœu pour l’avenir : « Je n’ai pas envie que l’on parle de la France dans cent cinquante ans comme d’un pays qui n’a pas su accueillir. »

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