mercredi 18 juillet 2018

La manipulateur Hafedh Caïd Essebsi

Au cœur de la crise qui frappe le pays, le fls du président est un personnage taiseux, secret et encore méconnu. Portrait d’un homme de l’ombre à qui on prête de grandes ambitions

Les projecteurs sont braqués sur lui, mais lui préfère le contre-jour. Figure controversée du paysage politique tunisien, Hafedh Caïd Essebsi reste néanmoins mal connu. Comme s’il tenait à conserver une part de mystère. À 56 ans, le patron de Nidaa Tounes est aux manettes de la deuxième formation politique du pays, fondée par son père, Béji Caïd Essebsi, actuel président de la République. Et au cœur de la crise politique que traverse son pays depuis les municipales du 6 mai.

Excellent manipulateur


À rebours de ses homologues des autres partis, ce passionné de football, ancien vice-président de l’Espérance sportive de Tunis, n’aime ni la communication ni les mondanités. Ses interventions sont si rares que le grand public est incapable de reconnaître sa voix. Hafedh Caïd Essebsi – ou HCE – préfère l’écrit à l’oral, se montrant plus disert sur Facebook. À défaut, il laisse volontiers son entourage parler en son nom. « Hafedh est un taiseux qui laisse croire qu’il est effacé. C’est un excellent observateur, et cela induit en erreur ses interlocuteurs », explique un ancien cadre de l’Espérance. S’il n’a pas les dons de tribun de son père, il n’en a pas moins baigné depuis l’enfance dans la politique... et les intrigues qui la nimbent. Même ses détracteurs reconnaissent qu’« il n’a pas eu besoin de faire Sciences-Po : il a été à l’école de Béji Caïd Essebsi ». Un compliment qui révèle aussi un handicap : la diffculté d’être le fils d’une personnalité au charisme indéniable. Lorsqu’il intègre Nidaa Tounes, les ténors du parti le traitent avec indifférence. Mal leur en a pris.

L’homme n’est pourtant pas inconnu à Tunis, où il avait déjà tenté une carrière politique en 1989 en se présentant aux législatives comme tête de liste pour le « Parti social libéral ». Tapi dans l’ombre, discret, l’homme révèle d’insoupçonnables talents de manipulateur en 2014 quand, contre toute attente, il prend la tête du parti et succède à son père, élu président de la République. Accusations de népotisme. Que le premier magistrat est obligé de démentir lui-même, assurant qu’il ne compte nullement faire de son fils son dauphin, qu’« il ne bénéfcirait d’aucune faveur, mais qu’il ne pouvait l’empêcher de faire de la politique ». Certains estiment pourtant que rien n’aurait été possible sans la volonté du père.

Guerre 


Dans le confit qui l’oppose au Premier ministre, il s’est, pour le moment, montré habile. Fin mai, Youssef Chahed s’est en effet invité à la télévision pour le descendre en flammes devant des millions de téléspectateurs éberlués : il accuse HCE d’avoir détruit Nidaa Tounes. Pas moins. Il évoque les électeurs perdus entre les législatives de 2014 et les municipales de 2018, et le départ, sur la même période, de trente députés vers d’autres blocs parlementaires. Le parti n’est même plus majoritaire au Parlement, alors qu’à sa création, en 2012, il avait réussi à rassembler la famille progressiste, toutes tendances confondues.

L’attaque de Chahed a d’autant plus surpris qu’il est membre du parti et qu’il y a gagné ses galons en présidant la commission des treize, organisatrice du congrès constitutif de Sousse, en janvier 2016, au terme duquel Hafedh Caïd Essebsi a pu établir sa mainmise sur Nidaa Tounes. C’est son appartenance au parti qui vaudra à Chahed sa nomination à la Kasbah.

Mais les relations entre les deux hommes se sont détériorées, Hafedh Caïd Essebsi estimant que Chahed s’écarte trop des directives du parti, quand Chahed souhaite que le gouvernement reste son pré-carré. La confiance est définitivement rompue en mai 2017 avec l’arrestation, sur ordre du Premier ministre, du mafieux et financier du parti Chafk Jarraya, homme d’affaires sulfureux, soutien de Nidaa Tounes et proche de HCE.

Méthodique, Hafedh pilonne, des mois durant, le chef du gouvernement. Critique ses résultats. Réclame, avec d’autres signataires de l’accord de Carthage, qui scelle la feuille de route du gouvernement d’union nationale, un remaniement d’ampleur. Guerre d’usure, dont il est coutumier. N’a-t-il pas obtenu, au cours de l’inévitable bataille pour le leadership après l’élection de son père, le départ de figures clés, dont Mohsen Marzouk, Ridha Belhaj ou encore Boujemaa Remili ? La méchanceté est une autre de ses qualités pour lui en politique. Sa main ne tremble pas lorsqu’il faut prendre des décisions, comme éloigner Raouf Khamassi, dont il était pourtant proche, accusé d’avoir mal géré les élections partielles en Allemagne.

Montée en puissance


Malgré de nombreux revers depuis les législatives de 2014 et les assauts de ses opposants au sein même de Nidaa Tounes, la montée en puissance du fils, aîné d’une fratrie de quatre, paraît aujourd’hui irrésistible. L’intéressé se défend de viser la présidentielle de 2019. « On lui prête des ambitions qu’il n’a pas. Tout le monde prétend qu’il veut être président de la République, mais ce n’est pas le cas », concède l’un de ses adversaires politiques. «Je ne nagerai pas à contre-courant de Nidaa Tounes; je ne vais pas m’isoler ni imposer ma vision », assure HCE, qui doit maintenant préparer le congrès électif de Nidaa Tounes, maintes fois reporté, dont la tenue devient urgente au regard du calendrier électoral. Deux scrutins doivent avoir lieu l’an prochain. Le vainqueur des législatives fera la pluie et le beau temps, notamment lors de la présidentielle qui suivra. Dans cette optique, diffcile de dire pour quelle candidature travaille HCE, mais nul ne l’imagine prendre sa décision sans l’assentiment de son père. En tout cas, l’homme a mis fin au consensus entre Nidaa et Ennahdha. « Pour 2019, c’est chacun pour soi », glisse Hafedh dans Middle East Eye. En privé, il a même fait remarquer à Rached Ghannouchi que « les deux partis ont pâti du consensus ». Ironie du sort, Ennahdha affiche depuis son soutien à Youssef Chahed.

Excellent joueur de cartes, Hafedh Caïd Essebsi a deux atouts dans sa manche : le sens du tempo et une grande maîtrise de soi. Sa tactique, désormais rodée, consiste à laisser venir, à miser sur le pourrissement et l’impulsivité de ses adversaires. Objet d’une campagne de dénigrement, il n’a pas cillé lorsque Lazhar Akremi, un ancien de Nidaa Tounes, a prétendu qu’il était sous la coupe de son épouse, Rym Reguig, qualifée au passage de « nouvelle régente de Carthage », en référence à Leïla Trabelsi. Si HCE a le sens du clan, il en connaît les limites dans une Tunisie encore convalescente. « On veut en faire quelqu’un alors qu’il souhaite prendre le pouvoir en usant des marionnette du parti », confe l’un de ses proches, qui souligne que « le prochain mandat sera dificile pour tous. Ce sera celui de la recevabilité. Les Tunisiens demanderont des comptes après dix années de révolution.


Aucun commentaire:

Google+