dimanche 22 mars 2015

Polarisation politique, radicalisation des jeunes et conséquences pour la région


Marginalisation et radicalisation des jeunes 


La tenue des premières élections libres et équitables en Tunisie
à l’issue du « printemps arabe » a été proclamée partout dans le monde comme un modèle de réussite. Toutefois, peu d’attention
a été accordée au fait que seulement 27 % des jeunes ont voté. Désillusionnés par la politique, ils étaient nombreux à penser que ni les partis laïques engagés dans des querelles intestines, ni l’option islamiste, Ennahda, ne tenaient compte de leurs préoccupations. L’incapacité de ces partis à les intégrer en témoigne d’ailleurs. En fait, alors que les jeunes âgés de moins 30 ans représentent 50 % de la population, seulement 4 % des membres de l’Assemblée constituante font partie de ce groupe d’âge. Cet état de choses a amené bien des jeunes à accuser leurs dirigeants de s’être « approprié » la révolution.

À cette marginalisation politique s’ajoute la situation économique difficile en Tunisie, dont les jeunes sont les principales victimes. Peu après la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali en janvier 2011, un sondage d’opinion a révélé que la plupart des jeunes Tunisiens s’attendaient à ce que leur situation s’améliore dans les deux prochaines années. Pourtant, presque trois ans après la révolution, les étudiants d’université connaissent les taux de chômage les plus élevés au pays. En ce moment, environ 34 % des titulaires d’un diplôme universitaire sont sans emploi, soit presque 10 % de plus qu’avant la révolution. Cette situation est étroitement liée à un autre problème nouveau : le nombre croissant de jeunes qui ne se rendent pas à la fin de leurs études. Les étudiants ne se présentent pas aux cours et aux examens parce qu’ils sont convaincus qu’un diplôme universitaire ne leur ouvrira pas de portes sur le marché du travail.
Dans un tel contexte, les jeunes Tunisiens deviennent particulièrement susceptibles de se livrer à des activités criminelles et de se tourner vers l’islam radical. En fait, la plupart des salafistes en Tunisie, y compris ceux qui appartiennent à la mouvance djihadiste violente, sont âgés de moins de 30 ans, et leurs rangs ne cessent de grossir. Pourtant, les causes de la montée du salafisme en Tunisie sont complexes, d’autres facteurs à l’échelle nationale et régionale entrant en jeu. Par exemple, les libertés nouvellement acquises
à la suite de la révolution ont permis à des prédicateurs, souvent 
d’Arabie saoudite, de se rendre en Tunisie pour propager leurs croyances ultraconservatrices. En outre, le gouvernement intérimaire de Béji Caïd Essebsi a libéré tous les prisonniers politiques, dont 300 djihadistes salafistes d’expérience.
Parmi ces prisonniers figurait Abou Iyad qui, dès sa mise en liberté, a fondé Ansar al-Charia, le groupe salafiste le plus important en Tunisie. Cette organisation n’a pas tardé à prendre de l’ampleur, ayant attiré quelque 5 000 personnes lors de son premier congrès tenu en mai 2012 à Kairouan. Elle a concentré ses activités sur la dawa, soit la prédication et la propagation de l’islam, ainsi que sur des œuvres
de bienfaisance. Les dirigeants et certains des membres du groupe croient au djihad, mais Abou Iyad ne cesse d’insister sur le fait que la Tunisie ne s’y prête pas. Par contre, il a appuyé ouvertement le djihad dans d’autres pays de la région.
De nombreux jeunes Tunisiens ont combattu dans la guerre contre le colonel Kadhafi, ce qui leur a permis de suivre un entraînement et d’obtenir des armes qui ont souvent été introduites illicitement en Tunisie. L’intervention de la France au Mali a aussi incité certains Tunisiens à se battre aux côtés des séparatistes touaregs et des rebelles islamistes liés à al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Lorsqu’ils ont été évincés du nord du Mali, certains combattants sont partis pour la Tunisie et se sont cachés dans la région du mont Chaambi ainsi que dans le gouvernorat du Kef. À l’heure actuelle toutefois, la Syrie est plus attirante, quelque 2 000 Tunisiens se battant contre le régime Assad aux côtés des membres du Front al-Nusra.
Les assassinats, en février et juillet 2013 respectivement, de
Chokri Belaïd et de Mohammed Brahmi—tous deux figures de proue de l’opposition politique qui critiquaient farouchement le gouvernement islamiste—découlent directement de ce processus de radicalisation

et, plus particulièrement, de l’union des forces djihadistes nationales et régionales. Bon nombre des personnes qui auraient joué un rôle dans les assassinats avaient suivi un entraînement à l’étranger avant de soutenir la cause djihadiste en sol tunisien. De même, le modus operandi des responsables du massacre sanglant de membres des forces de sécurité au cours des derniers mois rappelle celui des islamistes radicaux ayant des liens avec al-Qaïda.


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